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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/297

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daient avec les attributs communs aux hommes du siècle précédent, il les devait à lui-même et à notre siècle ; notre siècle que nous comprenons si peu et dont cependant l’atmosphère nous teint et nous pénètre, siècle si plein d’émotions mystérieuses et profondes que nos ancêtres ne connurent jamais ! Ces émotions seront-elles comprises de nos descendants ?

Dans ce vaste château étaient rassemblés, comme hôtes d’Harley, plusieurs des personnages les plus importants que le cours prolongé de cette histoire a rendus familiers au lecteur. Les deux candidats du parti conservateur, Audley Egerton et Randal Leslie ; et Lévy le chef des barons auxquels la société moderne accorde un droit de pillage, contre lequel se fussent jadis soulevés bourgeois et citoyen, roturier, vilain et paysan.

Le duc de Serrano retenant toujours son titre de docteur et son nom favori de Riccabocca, sa femme qui n’a pas encore les airs d’une duchesse, mais qui est vêtue de robes de soie très-épaisse, ainsi que sont, paraît-il, les duchesses à l’état de chrysalides. Violante aussi est à Lansmere, bien contre son gré, et se retirant autant que possible dans la solitude de sa chambre. La comtesse a quitté le comte pour venir recevoir les hôtes de son fils ; lord Lansmere lui-même, toujours désireux d’être utile à une partie quelconque de son pays, et voulant se distraire du souci que lui cause un bourg ingrat et turbulent, est allé dans le pays de Galles s’enquérir de la condition sociale de certains troglodytes travaillant dans des mines que le comte a eu récemment le malheur d’arracher à la cour de chancellerie, après un procès qu’avait commencé son grand-père. Un livre bleu publié dans la session précédente par ordre du Parlement avait spécialement cité lesdits troglodytes comme des bipèdes entièrement ignorants du soleil, et ne s’étant jamais lavé les pieds depuis le jour de leur entrée dans le monde souterrain.

Hélène Digby avait naturellement accompagné la comtesse, et lady Lansmere, jusque-là si froidement polie envers la future épouse de son fils, avait depuis son entrevue avec Harley à Kinghtsbridge témoigné à Hélène une affection presque tendre. La sévère comtesse était adoucie par la crainte ; elle sentait que son influence sur Harley était détruite ; elle espérait en l’influence d’Hélène, en cas de quoi ? elle l’ignorait, et c’est parce que le danger était vague que son cœur tremblait ; les superstitions ainsi que les soupçons sont « comme des chauves-souris qui volent à la nuit tombante. » Harley avait à la vérité tourné en ridicule la possibilité d’un duel entre lui et Audley, mais cependant lady Lansmere redoutait les violentes émotions du premier, et la fierté proverbiale du second. Instinctivement elle s’était rapprochée d’Hélène. Dans le cas où ses craintes viendraient à se justifier, quel médiateur plus persuasif, plus propre à apaiser les passions violentes que la douce fiancée de son fils ?

En arrivant à Lansmere la comtesse fut cependant un peu tranquillisée, Harley l’y reçut d’une manière moins tendre et moins cordiale que de coutume, mais cependant avec affection et d’un ton calme