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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/313

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bleus sans offenser les jaunes ; de paraître soutenir Audley Egerton et d’insinuer sa sympathie pour Dick Avenel, de réfuter avec un sourire poli le jeune adversaire dont les traits acérés avaient si cruellement blessé sa vanité.

Il venait de prendre la plume lorsqu’on frappa à sa porte.

« Entrez, » dit-il avec impatience ; et Lévy apparut.

« Je viens causer un peu de nos affaires, mon cher, dit le baron en se jetant sur un sofa, Et d’abord, je vous félicite de votre prochain succès. »

Randal repoussa son papier avec un léger soupir, puis il rapprocha sa chaise du sofa et dit à voix basse : « Vous croyez donc comme moi que j’ai de bonnes chances.

« Des chances ? mais c’est comme une partie de whist où votre partenaire vous donnerait tous les atouts, et où vous seriez à peu près sûr de voir votre adversaire faire une renonce. À la vérité, Avenel ou son neveu seront nécessairement nommés, mais seulement l’un ou l’autre. Deux parvenus voulant faire un siège de famille du bourg d’un comte ! Cela est par trop absurde, aussi.

— J’ai appris de Riccabocca ou plutôt du duc de Serrano, que ce jeune Fairfield a de grandes obligations à lord L’Estrange. Il est singulier qu’il combatte le parti de Lansmere.

— Voilà ce que c’est, que l’ambition, mon cher ! Vous-même, n’avez-vous pas quelques obligations à Egerton, et cependant vous êtes plus à craindre pour lui que M. Fairfield.

— Je nie avoir aucune obligation à M. Egerton. Et si les électeurs me préfèrent à lui, (qu’ils ont, par parenthèse, jadis brûlé en effigie), ce n’est pas ma faute ; si quelqu’un en est coupable, c’est lord L’Estrange, son tendre et fidèle ami. Je ne puis comprendre qu’un homme de sens, tel que l’est sans aucun doute lord L’Estrange, compromette ainsi l’élection d’Egerton dans son zèle pour la mienne, car je ne suis pas dupe de sa politesse cérémonieuse. Il m’a même donné à entendre qu’il me soupçonnait d’avoir été complice de Peschiera ; mais il ne saurait rien prouver contre moi, car bien entendu, Lévy, vous êtes incapable de me trahir ?

— Moi ! Quel intérêt y aurais-je ?

— Aucun que je sache, certainement, dit Randal en souriant. Et lorsque je serai au Parlement, aidé de la position sociale que me donnera mon mariage, j’aurai mille moyens de vous servir. Non, il est assurément de votre intérêt de ne pas me trahir, et je compte même sur vous comme témoin, si besoin était.

— Sans doute, sans doute, mon cher, dit le baron ; d’ailleurs, je suppose qu’il n’y aura pas de témoin du côté opposé. Mon pauvre ami Peschiera, qui, par parenthèse, avait des cigares sans pareils, est à tout jamais enfoncé, et en fût-il autrement, c’est contre L’Estrange et non contre vous qu’il voudrait déposer.

— Nous pouvons rayer Peschiera de la carte de l’avenir, répliqua Randal. Les hommes dont nous n’avons plus désormais rien à craindre ni à espérer, sont pour nous comme les races antédiluviennes.