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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/318

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s’en montra pas moins, non-seulement très-civil, mais encore très-humble envers Dick ; « il eût été très-heureux d’obliger le gentleman.

— Votre propre fils ! beuglait Dick, et votre petit-fils.

— Je serais ravi de vous servir tous deux, mais vous avez choisi la mauvaise couleur, voyez-vous. »

Puis le vieillard, après avoir regardé Léonard, s’approcha de lui avec des jambes tremblantes, caressa ses cheveux et bégaya. « Es-tu donc mon petit-fils ? Femme, femme, Nora n’avait pas de fils, n’est-ce pas ? La mémoire commence à me manquer, monsieur, excusez-moi, mais vous avez quelque chose dans le regard qui… » Puis le vieux John se mit à pleurer et sa femme l’emmena.

« Ne revenez pas ici, dit-elle rudement à Léonard en rentrant dans la chambre. Il ne dormira pas de la nuit maintenant. » Puis, voyant que les yeux de Léonard se remplissaient de larmes, elle ajouta plus doucement : « Je suis bien aise de vous voir prospère et bien portant, et d’apprendre que vous avez rendu un grand service à mon fils Richard, qui fait honneur à la famille, bien que le pauvre John ne puisse voter pour lui ni pour vous contre sa conscience ; d’ailleurs vous ne devriez pas le lui demander, ajouta-t-elle en s’échauffant ; c’est un vrai péché de tourmenter un homme si vieux et qui n’a plus que moi pour le défendre ; mais je le défendrai tant que je vivrai ! »

Le poète reconnut l’épouse au cœur brave et dévoué, et volontiers il eût embrassé l’austère grand’mère si elle ne se fût reculée. Se dirigeant vers la chambre où elle avait conduit son mari, elle tourna la tête et dit en regardant par-dessus son épaule : « Je ne suis pas si dure que je le parais, mon garçon ; mais mieux vaut pour vous, comme pour nous tous, que vous ne reveniez plus dans cette maison, et mieux eût valu que vous ne vinssiez pas à Lansmere.

— Fi, ma mère ! s’écria Dick en voyant Léonard baisser la tête et s’éloigner. Vous devriez être plus fière de votre petit-fils que vous ne l’êtes de moi-même.

— Fière de celui qui peut encore nous apporter la honte à tous ?

— Que voulez-vous dire ? »

Mais, mistress Avenel secoua la tête et disparut.

« Ne faites pas attention à ce qu’elle dit, la pauvre vieille mère, fit Dick, en rejoignant Léonard ; elle a toujours eu ses moments d’humeur sombre. Et puisque nous n’avons pas de votes à espérer dans cette maison, et qu’on ne peut décemment mettre un garnisaire chez son propre père, du moins dans ce vieux pays esclave des préjugés, nous ne viendrons plus nous faire gourmander ici. Que Dieu bénisse les deux bons vieux, malgré tout ! »

La vive susceptibilité de Léonard pour tout ce qui concernait sa naissance, profondément blessée des allusions de mistress Avenel, qu’il comprenait mieux que son oncle, était encore irritée par l’incertitude à laquelle le condamnait le silence que gardait Harley sur le manuscrit de Nora. Léonard ne comprenait pas comment Harley pouvait avoir lu ces papiers, se trouver dans la même ville que lui,