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race des gentilshommes propriétaires est déjà bien diminuée par la cupidité envahissante de ces léviathans, et si cette race vient à s’éteindre, la force et l’orgueil de l’Angleterre ne s’éteindront-elles pas du même coup ?

« Tout à vous, moucher monsieur Hazeldean, avec la plus respectueuse reconnaissance.

« Randal Leslie. »

CHAPITRE XXI.

Rien n’eût pu être plus désagréable et plus pénible à Léonard que la part qu’il était contraint de prendre à cette élection. Et d’abord, il lui fallait rouvrir les secrètes blessures de son cœur en reprenant le nom de Fairfield, ce qui était un désaveu tacite de sa naissance. Il avait eu tant de plaisir à penser que les mêmes lettres qui formaient le nom de Nora formaient aussi ce nom d’Oran qu’il avait rendu célèbre, qu’il avait associé à ses plus nobles travaux, à ses espérances de gloire durable, et qui formait comme un lien mystique entre sa propre carrière et le génie demeuré obscur de sa mère. Il lui semblait, à l’aide de ce nom, faire remonter vers celle-ci les louanges qu’on lui prodiguait à lui-même. Subtile et délicate illusion de la tendresse dont les poètes seuls sont capables, mais qu’on comprendra sans être poète. Au nom de Fairfield se rattachaient, dans l’esprit de Léonard, les rudes travaux, les humiliantes épreuves de son adolescence ; à celui d’Oran la poésie et la célébrité.

Mais en venant à Lansmere il n’avait pas le choix. Sans parler de Dick et des parents de celui-ci, avec lesquels son secret n’eût pas été en sûreté, Randal Leslie savait qu’il avait autrefois porté le nom de Fairfield, il connaissait sa naissance supposée, et il n’aurait pas manqué de la proclamer. Comment motiver le nom d’Oran sans exciter la curiosité au sujet de l’anagramme qu’il renfermait, et peut-être exposer aux soupçons cette mémoire de Nora, jusqu’ici demeurée sans tache ?

Ses sentiments au sujet de Nora, animés par la découverte du triste récit de celle-ci, étaient devenus plus amers encore depuis qu’il se trouvait en contact avec ses parents. Le vieux John était toujours dans le même état de corps et d’esprit, ni mieux, ni plus mal, mais sortant parfois de sa torpeur pour crier : « Vivent les bleus ! » lorsqu’il apercevait la bannière de son parti, semblable au vieux cheval de bataille sommeillant dans la prairie, qui tressaille encore au bruit du tambour. Dick s’efforça vainement d’entraîner à son père à voter même pour un seul jaune ; autant eût valu s’attendre à voir Caton voter pour le choix de consuls carthaginois. Mais le pauvre John ne