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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/326

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cultivateur était prêt à pardonner et à oublier, mais il aimait à croire que les électeurs de Lansmere ne se verraient plus exposés à brûler en effigie leur représentant. Quant au jeune gentleman dont il avait l’honneur d’être second, il ne le connaissait guère, mais les Leslie étaient une ancienne famille du comté voisin, et M. Leslie était parent du squire Hazeldean, le meilleur homme qui eût jamais chaussé un soulier de cuir. Lui, le cultivateur, tenait aux bonnes races pour ses moutons et pour ses taureaux, et il y tenait de même pour les hommes. Il n’était pas pour les abus, il était seulement pour le roi et la constitution. Il ne s’opposerait, par exemple, en aucune façon à l’abaissement des dîmes et à l’abolition de l’impôt sur la drèche, il n’y voyait pas la moindre objection. M. Leslie lui paraissait un jeune homme intelligent, qui savait parler, et tout considéré, le brasseur était d’avis qu’il ferait tout aussi bien l’affaire au parlement que les neuf dixièmes de ceux qui y étaient. Le cultivateur se rassit beaucoup plus applaudi des jaunes que des bleus, et ayant vaguement la conscience d’avoir plutôt fait tort qu’autrement à la cause qu’il était chargé de défendre. Léonard ne fut pas non plus très-heureux dans son parrain. C’était un jeune gentleman qui, après avoir essayé de plusieurs professions et avoir échoué dans toutes, ayant fait un petit héritage qui lui permettait de vivre indépendant, s’était posé en hommes de lettres. Ce gentleman entreprit la défense des poètes, comme le capitaine à demi-solde avait fait celle de la marine et de l’armée ; et après une douzaine de phrases prononcées du nez sur « le clair de lune de l’existence, et les oasis dans le désert, » demeura court à la grande satisfaction de ses auditeurs impatientés.

Cet échec fut en grande partie réparé par le second de Léonard, un maître tailleur, orateur émérite, chaud et sincère admirateur du jeune Fairfield. Il exprima son opinion brièvement, simplement, et l’accompagna d’un éloge du jeune candidat qui produisit de l’effet parce qu’il était vrai et senti.

À ces discours préparatoires succéda un profond silence et Audley Egerton se leva.

Dès les premières phrases tous sentirent qu’ils avaient en face d’eux un homme accoutumé à commander l’attention et à donner à ses opinions le poids d’une autorité reconnue. La lenteur mesurée de la parole, la fermeté du maintien, la dignité simple des gestes, tout révélait le ministre d’un grand pays, moins accoutumé à agiter les assemblées par une éloquence passionnée qu’à en obtenir un respect silencieux, dû à sa capacité et à son expérience. Ce qui eût pu paraître officiel et didactique chez un autre était relevé chez Egerton par cet air, ce ton, cette manière de parfait gentleman, dont l’auditoire même le plus plébéien ne laisse pas de sentir le charme. Il était éminemment doué de cette distinction dans la vie privée, mais elle devenait bien plus frappante encore lorsqu’il paraissait en public. Le senatorius decor semblait une phrase inventée pour lui.

Audley débuta par parler de ses adversaires avec cette gracieuse courtoisie qui sied si bien à un homme supérieur et qui présage plus