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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/327

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sûrement la victoire que les plus amères diatribes et les plus violentes déclamations. S’inclinant devant Avenel, il exprima le regret d’avoir à combattre un adversaire que sa naissance devait rendre cher à la ville, et dont l’honorable ambition était elle-même une preuve de l’admirable nature de cette constitution anglaise qui permet aux plus humbles de jouir de ses distinctions, tandis qu’elle contraint les plus grands à travailler et à lutter pour arriver à ces honneurs si justement enviés, qu’on ne peut obtenir que de l’estime et de la confiance de ses compatriotes. Il complimenta en quelques mots bien sentis Léonard sur ses succès littéraires, et faisant avec grâce allusion à l’intérêt qu’il avait toujours éprouvé pour les efforts des jeunes gens cherchant à se placer à l’avant-garde de la nouvelle génération, il donna à entendre qu’il ne regardait pas Léonard comme son propre adversaire, mais bien plutôt comme le compétiteur de son jeune et excellent ami M. Randal Leslie. « Heureux âge que le leur ! fit l’homme d’État avec une sorte de mélancolie. Dans l’avenir ils ne voient rien à craindre, dans le passé ils n’ont rien à défendre ; il n’en est pas ainsi de moi. » Arrivant alors aux vagues insinuations et aux accusations plus directes formulées contre lui et sa politique par les précédents orateurs, Audley s’arrêta et se recueillit un instant, car son œil était fixé sur les sténographes assis au-dessous de lui ; il avait aperçu parmi eux des figures qui lui avaient été familières alors qu’il tenait les assemblées de la métropole suspendues à ses lèvres conseillères des rois. Et involontairement l’ancien ministre, échappant soudain à cet auditoire restreint, à cette élection et aux cruels souvenirs qu’elle suscitait en lui, s’adressa à ce public immense et invisible auquel les sténographes allaient transmettre ses paroles. Sous l’influence de cette idée sa manière changea graduellement ; son œil se fixa sur les rangs les plus éloignés de la foule ; son accent devint plus profond, plus sonore et plus solennel. Il passa en revue et justifia sa vie politique tout entière. Il rappela les diverses mesures auxquelles il avait contribué, la part qu’il avait prise aux lois qui régissaient aujourd’hui le pays. Il toucha légèrement mais avec orgueil aux services qu’il avait rendus à son parti. Il fit allusion au peu de soin qu’il avait apporté à la direction de sa fortune particulière ; mais dans quel détail, si minime que ce fût, des affaires publiques confiées à sa charge un ennemi même pouvait-il l’accuser de négligence ? Nul doute qu’Audley n’eût ici l’intention de préparer le public à la nouvelle de sa ruine. Il examina ensuite les questions à l’ordre du jour, et fit un exposé général de la politique que dans le cas des changements qu’il prévoyait, il conseillerait à son parti d’adopter.

Le discours d’Audley embrassait un cercle d’intérêts trop vaste pour exciter la sympathie de l’assemblée bigarrée qui l’entourait ; mais il se souciait peu de cette assemblée, il l’oubliait. Les sténographes le comprenaient, tandis que leurs plumes volaient à la suite de paroles qu’ils n’osaient ni abréger, ni modifier. Audley s’adressait