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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/337

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trange et il vous rendra justice. Cela est, cela doit être son intention.

— Son intention, lorsqu’il vient de se montrer aussi injuste envers moi !

— Oui, oui, » balbutia le pauvre curé, se rappelant que le secret lui avait été imposé par Harley et ne sachant comment calmer Léonard. Cependant, toujours convaincu que son jeune ami était fils d’Harley, songeant à tout ce que celui-ci avait dit de l’expiation à son remords apparent, M. Dale ne pouvait comprendre pourquoi il avait ainsi fait précéder l’expiation de l’insulte. Désireux avant tout d’empêcher Harley et Léonard de se rencontrer tandis qu’ils étaient sous l’influence de pareils sentiments vis-à-vis l’un de l’autre, il fit un effort sur lui-même et démontra si bien à Léonard les avantages de sa propre diplomatie, que celui-ci consentit à attendre son retour.

« Quant à des excuses ou à une réparation, dit-il fièrement, cela regarde lord L’Estrange ; je ne les demande pas. Dites-lui seulement, que dès que j’ai su que celle que j’aimais et dont le souvenir m’avait été sacré depuis bien des années lui était fiancée, j’ai renoncé même au désir qu’elle fût jamais à moi ; si c’est là manquer aux devoirs de l’homme, je suis coupable. Si avoir prié nuit et jour que celle dont la présence eût réjoui ma vie laborieuse et solitaire puisse apporter à la sienne un charme que ne donnent ni la richesse ni la grandeur, si c’est là de l’ingratitude, je suis ingrat ; qu’il me condamne donc. Je disparaîtrai de sa sphère comme un homme qui aura un moment traversé son chemin et qu’il ne doit plus revoir. Mais il ne doit ni blâmer, ni soupçonner Hélène. Un mot encore. En me présentant pour cette élection, en m’engageant dans cette lutte étrangère à mes habitudes, peu convenable à ma pauvreté, opposée à des aspirations depuis longtemps dirigées vers un but plus noble, bien qu’on y arrive par des chemins plus obscurs, je n’ai obéi qu’à sa volonté ou à son caprice, et cela dans un moment où j’avais soif de repos et de solitude. J’étais enfin arrivé à prendre intérêt à ce que j’avais d’abord abhorré, mais l’idée de conquérir l’estime de lord L’Estrange animait mes espérances, stimulait mon ambition ; maintenant donc, à quoi bon continuer ? Que ferais-je ici ? Toute sa conduite, sauf son mépris pour moi, est une énigme. À moins donc qu’il n’exprime de nouveau un souhait que je me plais encore à regarder comme une loi, je me retire d’une lutte qu’il m’a rendue si amère. Je renonce à l’ambition qu’il a empoisonnée, et ne songeant plus qu’aux humbles devoirs qu’il m’accuse de dédaigner, je m’en retourne chez moi. »

Le curé faisait un signe d’assentiment à chacune de ces phrases et Léonard, passant près de Violante et d’Hélène qu’il salua l’une et l’autre avec la même froideur respectueuse, reprit le chemin de la ville. Pendant ce temps Hélène et Violante avaient aussi été en secrète conférence, et cette conférence les avait subitement rendues amies, car Hélène, surprise, émue, agitée, avait révélé à Violante son attachement pour Léonard, la confession qu’elle en avait faite à lord