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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/343

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— Il faut maintenant que je vous quitte, si vous n’avez rien d’important à me communiquer, dit le baron en se levant. J’ai encore beaucoup à faire, car l’élection n’est pas encore enlevée, et pour vous un échec serait…

— La ruine, je le sais. Eh bien, Lévy, après tout, il est de votre avantage que je réussisse. Si j’en juge par les lettres que j’ai reçues ce matin, ma position est si assurée, par suite de la nécessité où se trouve mon parti de me soutenir, que la découverte de mes embarras pécuniaires n’aura pas les effets fâcheux que je redoutais. Jamais ma carrière ne fut plus dégagée de tout obstacle, jamais dans mes jours de fastueuse magnificence je n’ai touché de si près au sommet de l’ambition, qu’aujourd’hui où je suis prêt à ne conserver qu’une chambre et un domestique.

— Je suis bien aise de l’apprendre, et je désire d’autant plus assurer votre élection dont dépend nécessairement cette brillante carrière, que… j’hésite à vous l’avouer…

— Parlez ! Qu’est-ce ?

— Je me suis vu obligé dans un moment de cruel embarras de passer quelques-uns de vos billets à un tiers qui, si votre personne n’était pas protégée par les privilèges parlementaires, pourrait user de ses droits et…

— Traître ! s’écria Egerton dont l’accent de calme mépris fit place à la violence. Traître ! n’en dites pas davantage. Comment ai-je pu croire qu’il en serait autrement ! Vous avez prévu ma défaite et projeté ma ruine. N’essayez pas de me répondre. Sortez d’ici, monsieur !

— Vous apprendrez bientôt que vous avez de pires ennemis que moi, dit le baron en se dirigeant vers la porte, et si vous êtes vaincu, si toutes vos espérances d’avenir sont détruites, ce n’est pas moi qu’il en faudra accuser. Mais je pardonne à votre colère et j’espère demain vous faire écouter une explication que vous n’êtes pas aujourd’hui en état d’entendre. Je m’en vais à Lansmere veiller à l’élection. »

Audley demeuré seul parut avoir soudain oublié toute sa colère. Il rassembla ses idées et sonda ses craintes avec cette précision rapide et logique que donne l’habitude de traiter les affaires publiques, et il sentit que la plus cruelle de ses pensées, la plus intolérable de ses craintes, c’était celle que Lévy ne l’eût trahi auprès de L’Estrange.

« Je ne puis supporter ce doute, s’écria-t-il tout haut. Je veux voir Harley moi-même. Sincère comme il l’est, le seul son de sa voix m’apprendra si j’ai perdu jusqu’à mon ami. Si cet ami m’est laissé, si Harley me serre encore la main avec sa cordiale affection, je perdrai tout le reste sans pousser un soupir. »

Il sonna ; son valet de chambre parut.

« Allez voir si lord L’Estrange est occupé ; je voudrais lui parler. »

Le domestique revint au bout de quelques minutes.