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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/36

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d’observer les erreurs grossières commises par ces deux personnages remarquables par leur sagacité : le docteur Riccabocca se targuant de sa profonde connaissance du cœur humain, et Randal Leslie accoutumé à fouiller dans tous les recoins de la pensée et de l’action pour y chercher cette science qui est une puissance ; car tandis que le sage, concluant non-seulement d’après les souvenirs de sa jeunesse, mais d’après l’influence ordinaire de la passion qui règne sur les jeunes gens, avait attribué à Randal des sentiments entièrement étrangers à la nature de ce profond diplomate, Riccabocca n’eut pas plutôt achevé de parler que Randal, de son côté, jugeant, lui aussi, selon son propre cœur et d’après les motifs qui dirigent généralement les hommes d’un âge mûr et d’une prudence aussi vantée que celle du savant élève de Machiavel, décida intérieurement que Riccabocca voulait abuser de sa jeunesse et de son inexpérience pour faire de lui sa dupe.

« Pauvre jeune homme ! se disait Riccabocca ; comme il était loin d’être préparé au bonheur que je lui annonce ! »

« Le vieux jésuite ! pensait Randal ; il a certainement appris, depuis que nous ne nous sommes vus, qu’il n’a aucune chance de rentrer dans son patrimoine, et il veut me faire épouser une fille sans le sou. Quel autre motif pourrait-il avoir ? Si sa fille avait le moindre espoir de redevenir la plus riche héritière de l’Italie, il ne me l’offrirait pas si légèrement. Cela saute aux yeux. »

Ému de ressentiment à l’idée du piège qui lui était tendu, Randal allait désavouer complètement l’affection absurde et désintéressée qu’on lui attribuait, lorsqu’il vint à penser que sans doute il offenserait ainsi mortellement l’Italien (car les fourbes ne pardonnent jamais à ceux qu’ils n’ont pu réussir à tromper), et qu’il pouvait être encore de son intérêt de rester dans des termes familiers et affectueux avec Riccabocca ; c’est pourquoi dominant son premier mouvement il s’écria :

« Ô le plus généreux des hommes ! Pardonnez-moi si j’ai été jusqu’ici incapable d’exprimer ma joie, mon étonnement ; mais je ne puis consentir à profiter de votre générosité irréfléchie. Votre noble conduite ne fait qu’augmenter mes scrupules ; si vos grands biens, comme je l’espère, vous sont prochainement rendus, vous pourriez regretter d’avoir pris un pareil engagement ; si vos espérances étaient déçues, ce serait différent, mais alors même quelle position, quelle fortune pourrais-je offrir à votre fille ?

— Vous êtes bien né ; tous les gentilshommes sont égaux, dit Riccabocca avec noblesse. Vous possédez la jeunesse, la science, le talent, qui dans votre heureux pays sont des sources certaines de richesse ; de plus, vous avez des amis puissants, en un mot, s’il vous convient de vous marier par amour, je serai satisfait ; si non, parlez franchement. Quant à la restitution de mes biens, elle ne me paraît guère probable tant que vivra mon ennemi. Et dans ce cas-là même, il est arrivé depuis que je ne vous ai vu quelque chose qui aplanirait toutes les difficultés, dit Riccabocca avec un sourire singulier qui parut à Randal sinistre et malicieux. Quoi qu’il en soit, n’imaginez pas que