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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/35

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lord L’Estrange, Randal s’informa avec le plus grand intérêt de la santé de Violante. Il espérait que la jeune fille ne souffrait point de sa retraite forcée, etc., etc.

Tandis qu’il parlait, Riccabocca l’observait gravement ; puis il se leva soudain, et l’air de dignité dont nous avons déjà parlé devint plus frappant encore.

« Mon jeune ami, dit-il, écoutez-moi attentivement et répondez-moi franchement. Je connais la nature humaine (et un sourire d’orgueilleuse complaisance se dessina sur les lèvres du sage, qui jeta un coup d’œil sur son Machiavel). Je connais la nature humaine, je l’ai du moins étudiée, reprit-il sérieusement et avec moins de vanité, et je pense que lorsqu’un étranger témoigne pour mes affaires un intérêt qui lui cause plus d’un embarras, un intérêt, continua le sage en posant la main sur l’épaule de Randal, qu’égalerait à peine celui d’un fils, cet étranger doit être influencé par quelque puissant motif personnel.

— Oh, monsieur ! » s’écria Randal d’une voix étranglée et en pâlissant. Riccabocca le contempla avec la tendresse indulgente d’un être supérieur et continua d’exposer ses théories :

« Chez vous, quel peut être ce motif ? Ce n’est pas un motif politique, puisque vous partagez, je pense, les opinions du ministère et que ces opinions ne sont pas favorables à l’Italie. Ce ne sont pas non plus des calculs ambitieux ou intéressés ; comment de tels calculs vous enrôleraient-ils au service d’un proscrit ? Que reste-t-il donc ? Le motif qui à votre âge est le plus naturel et le plus fort. Je ne vous blâme pas. Machiavel lui-même convient que des motifs de cette nature ont dominé les esprits les plus sages, et bouleversé les royaumes les plus solidement établis. En un mot, jeune homme, vous êtes amoureux, et amoureux de ma fille. »

Randal fut si alarmé de cette charge directe et inattendue, dirigée sur ses batteries masquées, qu’il n’essaya même pas de se défendre ; il laissa tomber sa tête sur sa poitrine et demeura muet.

« Je ne doute pas, reprit le sagace observateur de la nature humaine, que les louables et généreux scrupules naturels à votre âge ne vous eussent empêché de m’ouvrir volontairement votre cœur. Vous pouviez croire que, fier du rang que j’occupais autrefois, ou confiant dans l’espoir de recouvrer mon héritage, je serais ambitieux dans mes vues matrimoniales pour Violante ; vous pouviez craindre aussi, en songeant à la possibilité de ma rentrée en Italie, de paraître obéir à des mobiles odieux à la jeunesse et à l’amour, c’est pourquoi, mon jeune ami, je me suis décidé à me départir de la coutume anglaise pour en adopter une qui n’est pas rare dans mon pays. Chez nous, un prétendant se présente rarement sans s’être assuré le consentement du père. Je n’ai que ceci à vous dire : si je ne me suis pas trompé et que vous aimiez ma fille, mon plus vif désir est de la voir en sûreté, et, en un mot, vous me comprenez. »

Ce doit être une consolation pour nous autres simples mortels qui n’avons aucune prétention à une sagesse et à une habileté supérieures,