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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/363

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— Je me réjouis de l’apprendre, car je viens vous demander ce sacrifice ; vous vous le rappellerez plus tard avec joie et avec fierté ; le souvenir de ce sacrifice, si je vous connais bien, vous sera cent fois plus doux que toutes les joies de l’ambition satisfaite. Et lorsque vous aurez appris pourquoi je vous en ai fait la demande, vous vous direz : « C’est là en vérité une réparation des paroles qui avaient blessé mes sentiments et calomnié mon cœur. »

— Milord, milord ! s’écria Léonard. Tout est déjà réparé. Vous me rendez votre estime en anticipant si justement ma réponse, et avec votre estime, la vie me sourit de nouveau. Je puis retourner à ma carrière naturelle sans pousser un soupir ; je n’ai plus maintenant besoin d’échapper à mes pensées. Vous me croirez si je vous assure que, malgré ma présomption passée, je puis prier sincèrement pour votre bonheur.

— Poète ! vous remplissez votre mission en ce moment même ; vous embellissez le monde ; vous parez l’austère devoir lui-même de la ceinture des Grâces, dit Harley, s’efforçant de sourire pour déguiser son émotion. Mais il nous faut revenir à la prose de l’existence. J’accepte donc votre sacrifice. Quant au moment de le faire, de façon à en assurer le résultat, je vous demanderai de vous conformer aux instructions que vous transmettra votre oncle. Jusque-là, ne dites rien de vos intentions, même à M. Dale. Pardonnez-moi de vouloir assurer l’élection de M. Egerton aux dépens de la vôtre. Que cette explication vous suffise pour le présent. Et à propos de M. Egerton, que pensez-vous de lui ?

— Je pensais, en l’entendant parler, et quand il a terminé son discours par ces touchantes paroles dans lesquelles il abandonnait tout ce qui, dans sa vie, n’avait pas été voué au service de son pays, « à la charité de ses amis, » combien j’eusse été fier, même comme adversaire, de lui serrer la main ; et eût-il eu des torts à mon égard dans la vie privée, j’aurais regardé comme une ingratitude envers mon pays de me rappeler ces torts. »

Harley se détourna brusquement et rejoignit M. Dale.

« Laissez Léonard s’en aller tout seul ; vous voyez que j’ai guéri les blessures que j’avais faites.

— Et votre meilleure nature ainsi réveillée, j’espère, mon cher lord, que vous avez tout à fait abandonné l’idée de…

— De me venger ? Non. Et si demain vous n’approuvez pas ma vengeance, je ne me tiendrai pas tranquille que je ne vous voie… évêque !

— Milord ! s’écria M. Dale, choqué.

— Ma légèreté n’est qu’à la surface, mon cher monsieur Dale, mais quelquefois l’écume de la vague indique le changement du vent. »

Le curé le regarda attentivement, puis lui serra les deux mains avec joie et affection.

« Retournez maintenant au château, reprit Harley en souriant, et dites à Violante, s’il n’est pas trop tard pour la voir, qu’elle a été plus éloquente même que vous ! »