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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/365

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ruelle, suivis de toutes les femmes. Il n’était pas fort aisé d’entrer dans l’auberge où l’on acclamait ainsi Avenel. Des réformateurs jaunes, connus par leur zèle pour la pureté des élections en défendaient la porte et ne laissaient pénétrer les arrivants qu’un à un. « Après tout, se dit le baron tandis qu’entrant dans la pièce principale de l’auberge bleue il proposait de chanter : Rule Britannia, après tout, Avenel hait Egerton autant que je le fais moi-même, et les deux partis travaillent au même but. » Puis, battant la mesure sur la table, il se joignit avec une belle basse-taille au refrain : « Non, jamais les Bretons ne seront esclaves ! »

Pendant ce temps Harley était entré à l’hôtel des « Armes de Lansmere » où le comité bleu tenait son quartier général, sans monter dans la chambre où les plus infatigables continuaient leurs travaux, recevant les rapports des sentinelles, donnant des ordres, faisant des paris, la tête très-échauffée par le patriotisme, les bons principes, le rhum et l’eau-de-vie ; Harley appela l’aubergiste et lui demanda si l’étranger pour lequel on avait retenu des chambres était arrivé. Sur la réponse affirmative de l’hôte, Harley suivit celui-ci en haut d’un petit escalier, dans une partie de l’hôtel éloignée des salles affectées aux assemblées électorales. Harley passa environ une demi-heure avec cet étranger, puis se rendit à la salle du comité, se débarrassa des membres les plus animés, conféra avec les plus sobres, donna quelques ordres à ceux des chefs sur qui il savait pouvoir compter et retourna au château aussi rapidement qu’il en était venu.

Le jour commençait à poindre lorsque Harley se rendit à sa chambre. Pour y arriver il passa devant celle de Violante : son cœur débordait d’une tendresse et d’une gratitude ineffables ; il s’arrêta et en baisa le seuil. Lorsqu’il fut rentré dans sa chambre, celle qu’il occupait depuis l’enfance, il se sentit plier sous un poids immense. Tout son être était animé de cette divine et joyeuse élasticité de cœur et d’esprit qui, au matin de la vie, s’élance vers l’avenir, comme l’oiseau dans les nues. Un poète grec prétend que le suprême bonheur est la cessation subite de la peine ; il y a une joie plus noble encore, celle de la conscience délivrée soudain d’une pensée coupable. Près de ce lit au pied duquel il priait dans son enfance, Harley s’agenouilla de nouveau. Il retrouva cette consolation de la prière dont il était sevré depuis qu’il avait nourri un dessein qu’il n’eût osé confesser au Dieu de miséricorde. Mais alors cette joie qu’il avait ressentie l’abandonna tout à coup. Le sentiment du danger qu’il venait de courir, la pensée de l’acte coupable auquel le démon avait failli l’entraîner se dressèrent devant son intelligence que la passion n’obscurcissait plus ; il frémit d’horreur. Et à celui qui, quelques heures auparavant, avait cru impossible de renoncer à sa vengeance, il semblait maintenant que des années de vertu et de bienfaisance seraient à peine suffisantes pour purifier son âme repentante du souvenir de cette hideuse passion.