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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/366

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CHAPITRE XXXI.

Cette partie de la nuit qu’Harley avait employée à s’occuper des vivants, Audley l’avait passée en communion avec les morts. Il avait repris le manuscrit de Nora parmi les papiers au milieu desquels Harley l’avait laissé. Il vit avec un étonnement triste combien il avait été aimé. Qu’avaient apporté à l’homme d’État isolé, l’ambition, les succès, les honneurs, en compensation de ce glorieux empire qu’il avait perdu, de ce monde d’émotions délicieuses ? Sa nature positive et terrestre comprit pour la première fois, peut-être pour son châtiment, la nature plus pure et plus élevée de cette compagne dont le sourire d’ange avait autrefois illuminé sa vie austère ; cette céleste délicatesse d’affection, cette exubérance de sentiments s’épanchant en une variété infinie d’idées nobles et gracieuses sous le souffle d’une imagination enchantée : tout ce qui, alors qu’il le possédait, l’avait fatigué, impatienté, qu’il avait taxé d’exagérations romanesques, maintenant qu’il l’avait à jamais perdu lui apparaissait comme la vérité. Et c’était en effet la vérité, bien qu’en même temps une illusion. Les philosophes nous disent que les brillantes couleurs qui décorent l’univers n’existent que dans notre vue, et cependant si l’on ôtait à l’univers les couleurs, quel philosophe pourrait dire que l’univers n’a rien perdu ?

Mais lorsqu’Audley en vint à ce passage du manuscrit où était expliquée, bien qu’imparfaitement, la véritable cause de la fuite de Nora ; lorsqu’il vit comment Lévy, par des motifs qu’il ne pouvait s’expliquer, avait suggéré à sa jeune femme les doutes qui avaient offensé celle-ci ; comment il lui avait persuadé que son mariage était frauduleux, lui avait présenté les lettres laconiques et mécontentes d’Audley comme une preuve à l’appui de ses assertions ; comment il avait profité du peu d’expérience de la vie qu’avait Léonora, pour la tromper, pour la réduire au désespoir en faisant apparaître à ses yeux le fantôme du déshonneur, il fronça les sourcils et serra les poings. Il se rendit aussitôt à la chambre de Lévy, il la trouva vide, questionna un domestique et apprit que le baron était sorti en avertissant qu’il ne rentrerait peut-être pas de la nuit. Heureux fut-il pour Audley comme pour l’usurier de ne pas s’être rencontrés. Le besoin de la vengeance aurait pu être aussi violent chez Audley qu’il l’avait été chez Harley, et peut-être n’en eût-il pas triomphé comme son ami. Audley retourna dans sa chambre et acheva le tragique récit. Il vit comment cette main bien-aimée avait tremblé sous les dernières tortures du doute et du désespoir ; il contempla la place où étaient tombées les larmes brûlantes, où la main s’était arrêtée au milieu