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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/367

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même de la phrase inachevée ; il accompagna par la pensée sa malheureuse jeune femme dans son voyage et son retour chez ses parents, il la revit telle qu’il l’avait contemplée pour la dernière fois, plus belle même dans la mort qu’aucune femme vivante ne lui avait jamais paru ; et penché sur les derniers mots, suivis de la page qui, au-dessous des caractères tremblés et des taches de larmes, s’étendait pâle et blanche comme le vide que laisse derrière soi l’amour éteint par la mort… Audley sentit soudain son cœur cesser de battre ; il s’était arrêté en même temps que finissait le manuscrit. — Puis il battit de nouveau, mais si faiblement ! Sa respiration devint laborieuse et pénible, sa vue s’obscurcit ; mais son courage et sa fermeté luttèrent avec l’opiniâtre instinct de l’habitude, sa volonté triompha de la maladie, la vie se ranima en lui, comme brille par instants la lumière d’une lampe prête à s’éteindre.

Le lendemain matin, lorsque Harley entra dans la chambre de son ami, celui-ci dormait ; son sommeil paraissait avoir été agité ; sa respiration était bruyante et pénible ; ses couvertures étaient en partie rejetées ; son bras nerveux et sa large poitrine étaient à découvert.

Chose étrange qu’une maladie intérieure si grave laissât le corps si intact à l’extérieur, que pour tout œil étranger à la science, le malade endormi semblait la vigueur et la santé personnifiées. Une de ses mains était jetée par-dessus les oreillers, elle tenait encore les fatals papiers, et à l’endroit où les caractères avaient été effacés par les larmes de Nora, se voyaient les traces encore humides de larmes peut-être plus amères encore.

Harley fut profondément ému ; tandis qu’il était auprès du lit, Egerton soupira péniblement et s’éveilla. Il regarda autour de lui, étonné et perplexe, jusqu’à ce que ses yeux ayant rencontré Harley, il sourit en disant :

« Déjà ! Ah ! oui, je me rappelle, c’est le jour des régates. Nous aurons le courant contre nous, mais vous et moi réunis, avons-nous jamais été vaincus ? »

L’esprit d’Audley s’égarait ; il se croyait revenu aux jours d’Eton ; mais Harley crut qu’il faisait allusion à la lutte électorale. « C’est vrai, cher Audley, vous et moi réunis, avons-nous jamais été vaincus ? Mais n’allez-vous pas vous lever ? Je voudrais que vous vinssiez au poll, serrer la main à vos partisans à mesure qu’ils viendront voter. À quatre heures vous serez libre, et notre élection emportée.

— L’élection ! Quelle élection ? Comment ? Quoi ? fit Egerton revenant à lui-même. Ah ! oui, je me rappelle. Oui, j’accepte de vous ce dernier service. J’ai toujours dit que je mourrais sous le harnais. La vie politique… je n’en connais pas d’autre. Ah ! je rêve encore ! Oh ! Harley ! mon fils, mon fils !

— Vous le verrez après quatre heures. Vous serez fiers l’un de l’autre. Mais hâtez-vous de vous habiller. Voulez-vous que je sonne votre domestique ?