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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/38

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— Mais son cœur ?

Cospetto ! dit l’Italien fidèle à ses infâmes préjugés contre le sexe ; le cœur d’une fille est comme un couvent : plus saint est le Cloître, plus charitable est la porte. »


CHAPITRE XI.

Randal rentra chez lui juste à temps pour s’habiller et se rendre à un dîner que donnait le baron Lévy.

La manière de vivre du baron avait ce caractère particulier à la fois aux élégants les plus raffinés de cette époque, ainsi qu’aux parvenus les plus insignes. Car il est digne de remarque qu’en matière de modes et de luxe, c’est toujours le parvenu qui se rapproche le plus du dandy.

Personne n’est plus difficile que le parvenu quant à la coupe de son habit, la précision de son équipage et les minuties de son service. Ceux qui sont entre le parvenu et le raffiné, dont la conséquence s’appuie sur quelque chose de solide, ne suivent que de loin les caprices de la mode, et se montrent peu attentifs à observer ces délicatesses qui ne leur donnent ni un ancêtre ni une guinée de plus. La maison du baron, comme son dîner, témoignait d’une élégance incontestable. Si Lévy avait été l’un des rois légitimes du dandysme, chacun se fût écrié : « Quel goût exquis ! » Mais telle est la bizarrerie de la nature humaine que les dandys qui dînaient à sa table se disaient en haussant les épaules : « Il veut singer D… ! l’animal ! »

Au dîner, il ne parut point sur la table de vaisselle plate. La mode russe alors peu connue avait été adoptée ; des fruits et des fleurs placés dans des plats de vieux Sèvres et dans des vases de Bohême étincelants ; point de domestiques en livrée ; derrière chaque convive se tenait debout un monsieur vêtu d’un habit noir et de linge fin, en sorte que convive et laquais semblaient stéréotypés d’après la même planche.

Les viandes étaient exquises ; le vin provenait des caves d’archevêques et d’ambassadeurs défunts. La compagnie était choisie et ne se composait que de huit personnes. Quatre étaient des fils aînés de pairs (depuis un baron jusqu’à un duc), un autre un bel esprit qu’on ne pouvait avoir sans l’inviter un mois à l’avance et sans lui assurer, lorsque l’hôte était un parvenu, des melons et des pêches au milieu de l’hiver ; le sixième convive, au grand étonnement de Randal, n’était autre que M. Avenel ; lui-même et le baron complétaient les huit.

Les fils aînés se reconnurent avec un sourire significatif ; le plus jeune d’entre eux (c’était son premier hiver à Londres) eut même la