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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/39

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bonne grâce de rougir et de paraître embarrassé. Les autres étaient plus endurcis, mais furent également surpris en voyant Randal et Dick Avenel. Le premier leur était connu personnellement comme un jeune homme d’avenir, grave, instruit, plutôt prudent que prodigue, et incapable de folies. Que diable venait-il faire là ?

La présence de M. Avenel les intriguait davantage encore. Un homme d’un âge mûr, qu’on disait être dans le commerce, qu’ils avaient vu en ville, c’est-à-dire se promenant à cheval dans le parc ou au parterre de l’Opéra, mais qu’ils n’avaient jamais aperçu dans un club connu ni dans leurs coteries, un homme dont la femme donnait d’affreuses soirées du troisième ordre. Pourquoi cet homme avait-il été invité avec eux et par le baron Lévy qui se piquait d’être exclusif ? c’était là un problème digne d’exercer toute leur pénétration. Le bel esprit, qui étant fils d’un petit boutiquier se donnait de beaucoup plus grands airs que les jeunes lords, résolut le problème par une impertinence : « Soyez certain, dit-il tout bas à Spendquick, que cet homme est l’X Y du Times qui offre de prêter telle somme qu’on voudra, depuis 10 livres sterling jusqu’à un million. C’est l’homme qui a tous vos billets ; Lévy n’est que son chacal.

— Sur mon âme ! fit Spendquick alarmé ; s’il en est ainsi, on fera bien de se montrer civil envers lui !

— Vous, certainement, dit le bel esprit, mais pour moi je n’ai jamais trouvé un X Y qui ait voulu rien m’avancer. C’est pourquoi je n’entends pas être plus respectueux envers X Y qu’envers toute autre quantité inconnue. »

À mesure que le vin circulait, la compagnie devint gaie et sociable. Lévy était vraiment fort divertissant ; il savait sur le bout du doigt tous les cancans de la ville et il possédait en outre cet art aimable de dire du mal des absents, toujours si apprécié par les présents. Par degrés aussi M. Richard Avenel s’anima, et comme le bruit avait circulé parmi les convives qu’il était X Y, on l’écouta avec un respect qui excita encore sa verve ; et lorsque le bel esprit voulut l’embarrasser ou le mystifier, Dick répondit avec une brusquerie qui, bien qu’assez grossière, fut trouvée si spirituelle par lord Spendquick et ceux qui se sentaient dans une position analogue à la sienne, que les rieurs se mirent de son côté et réduisirent le bel esprit au silence pour le reste de la soirée, circonstance qui ne contribua pas peu à la rendre agréable. Après le dîner la conversation, comme il convient dans une réunion de garçons faciles et débonnaires, passa successivement du turf au ballet et du dernier scandale à la politique, car les temps étaient si critiques que la politique occupait forcément tout le monde, et trois des jeunes lords représentaient leurs comtés.

Randal parla peu, mais comme de coutume écouta attentivement, et il fut péniblement surpris de voir combien on était généralement convaincu de la chute imminente du ministère. Par égard pour lui et avec la délicatesse qui règne dans un certain monde, personne ne parla d’Egerton, excepté Avenel qui, ayant lancé quelques paroles grossières au sujet du ministre, fut aussitôt arrêté par le baron.