Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pit de toute votre habileté et de toute la peine que je me suis donnée pour vous, je soupçonne que de façon ou d’autre vos talents ne vous feront jamais faire fortune. Vous avez été battu comme orateur par le fils d’un charpentier, et comme diplomate par un vulgaire manufacturier. Décidément, jusqu’ici, Randal, vous avez échoué partout, et, comme vous le disiez admirablement vous-même, il faut rayer de la carte de l’avenir l’homme dont nous n’avons plus rien à craindre ni à espérer. »

L’entrée d’un domestique coupa court à la réponse de Randal.

« Messieurs, dit-il, milord est dans le grand salon et vous prie tous deux de lui faire l’honneur de l’y rejoindre. »

Lévy et Randal suivirent le domestique.

Riccabocca, Violante, Hélène, M. Dale, le squire Hazeldean et lord L’Estrange étaient rassemblés autour d’une table de marbre florentin sur laquelle ne se voyaient ni livres, ni journaux, ni ouvrages de femme, rien de ce qui indique l’habitation et la vie de famille, mais seulement un grand candélabre d’argent qui n’éclairait qu’imparfaitement la vaste pièce et faisait apparaître les portraits qui en garnissaient les murs comme autant de membres de l’assemblée, regardant d’un œil curieux et scrutateur dans les yeux qui se tournaient vers eux.

À peine Randal fut-il entré que le squire, se détachant du groupe, vint au-devant du candidat vaincu, et lui serrant cordialement la main :

« Console-toi, mon garçon, il n’y a pas de honte à être battu, fit-il. Lord l’Estrange dit que tu as fait de ton mieux, et personne ne peut faire plus. Et je suis bien aise, Leslie, que nous n’ayons pu nous voir plus tôt au sujet de notre petite affaire, parce qu’après une contrariété quelque chose d’agréable fait doublement plaisir. J’ai l’argent dans ma poche… Chut !… Il faut que je te dise, mon cher garçon, que je n’ai pu découvrir où se cache Frank, mais es-tu bien sûr que tout soit rompu entre lui et cette étrangère, hein ?

— Oui, en vérité, monsieur, je l’espère. Nous causerons de tout cela lorsque nous serons seuls. Nous pourrons, je pense, nous échapper tout à l’heure.

— Je m’en vais te dire un plan que nous avons formé secrètement Harry et moi, dit le squire toujours à voix basse. Nous voulons chasser cette marquise ou n’importe ce qu’elle est de la tête de Frank, et nous voulons y mettre, à la place, une jolie fille anglaise. Cela le fixera. Il faut que je m’efforce d’avaler l’amère pilule du post-obit. Harry en est encore plus blessée que moi, et elle parle si sévèrement du pauvre garçon que c’est maintenant moi qui suis obligé de prendre son parti. Je n’entends pas me laisser mener par ma femme. Ce n’est pas la coutume des Hazeldean. Mais, pour en revenir à notre plan, de quelle jolie fille crois-tu que je veuille parler ?

— De miss Sticktorights ?

— Au diable miss Sticktorights ! non, c’est de ta petite sœur