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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/4

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cabocca alluma sa pipe, lâcha trois grosses bouffées de tabac et reprit :

« Une espingole, quatre pistolets et un chien de garde nommé Pompée, qui n’eût fait qu’une bouchée de Jules César en personne.

— Il est certain qu’il mange beaucoup, ce Pompée, dit mistress Riccabocca, mais enfin s’il vous tranquillise !

— Il ne me tranquillise pas le moins du monde, madame, reprit tristement Riccabocca, et c’est là que je voulais en venir. La vie que nous menons ici est extrêmement fatigante, et fort peu digne. Et moi qui n’avais demandé au ciel que le repos et la dignité ! Mais si Violante était une fois mariée, je n’aurais plus besoin d’espingole, ni de pistolets, ni de Pompée. Et c’est cela qui me tranquilliserait, cara mia. »

Riccabocca était maintenant plus communicatif avec Jemima qu’avec Violante. Lui ayant une fois confié un secret, il avait toute raison de lui en confier d’autres ; il lui avait donc parlé des craintes qu’il éprouvait au sujet de Peschiera. Elle posa son ouvrage et, prenant affectueusement la main de son mari, lui répondit :

« En vérité, mon ami, puisque vous redoutez si fort (bien qu’à mon avis sans sujet) cet homme pervers et dangereux, ce serait en effet la chose la plus heureuse du monde que de bien marier notre chère Vidante, parce que, voyez-vous, si elle était mariée à une personne, on ne pourrait plus la marier à une autre, et vous n’auriez plus rien à craindre de ce comte.

— Vous ne sauriez mieux dire. C’est une grande consolation, après tout, que de se confier à sa femme, fit Riccabocca.

— Mais, dit l’épouse après un baiser de remercîment, mais où et comment trouverons-nous un mari du rang de votre fille ?

— Là ! là ! s’écria Riccabocca reculant son fauteuil jusqu’à l’autre bout de la chambre, voilà ce que c’est que de confier ses affaires ! votre secret ne vous appartient plus ; c’est ouvrir la boîte de Pandore ; on est trahi, ruiné, déshonoré, perdu !

— Comment ? Mais, mon ami, il n’y a ici personne qui puisse nous entendre ! dit mistress Riccabocca avec douceur.

— C’est un hasard, madame, un pur hasard. Si vous contractez l’habitude de babiller sur un secret lorsqu’il n’y a personne là, comment pourrez-vous jamais résister lorsque vous serez excitée par le plaisir de le dire à tout le monde ? Vanité, vanité de femme ! Aucune femme n’a jamais pu résister au rang, jamais ! » Le docteur continua de déclamer pendant une demi-heure, et ne se laissa apaiser qu’à grand’peine par les assurances repentantes et multipliées de mistress Riccabocca, qu’elle ne se dirait pas même à elle-même que son mari eût jamais occupé un rang plus élevé que celui de docteur. Riccabocca, secouant la tête d’un air de doute, reprit :

« J’ai renoncé à toute pompe et à toutes prétentions. En outre, le jeune homme est bien né ; il a de l’énergie et une ambition latente. Il est parent du plus intime ami de lord L’Estrange ; il paraît attaché à Violante. Il me semble que nous ne pourrions mieux faire. Si en