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Ils n’ont qu’une enfant, une fille, qu’ils ont appelée Nora ; elle a le regard inspiré de son père, le doux sourire de sa mère.

Mais je ne veux point terminer ici le portrait d’Hélène. L’idéal lui-même ne se complète qu’en se rattachant au réel, et jusque dans la solitude l’écrivain doit compter avec la société.

Léonard a enfin terminé l’ouvrage qui a fait la joie et l’occupation de tant d’années, l’ouvrage qu’il regarde comme la fleur de son intelligence et auquel il a confié toutes les espérances qui unissent la créature d’un jour aux générations futures. Le livre est sous presse, Léonard a accepté une invitation de Norrey. Dans une agitation à laquelle il avait été étranger depuis la publication de son premier ouvrage, il est parti pour Londres. Hélas ! le livre a paru dans un moment peu propice et n’a rencontré que de rares lecteurs. Une critique impitoyable s’en empare, le mutile, le défigure, en confond dans ses amères railleries les défauts et les beautés. L’éditeur secoue la tête, montre ses planches encombrées et insinue délicatement que cet ouvrage, l’objet de tant d’espérances, n’est point dans le goût du jour ; Léonard songe avec douleur aux longues années de travail qu’il y a consacrées et le découragement s’empare de son cœur. « Vous avez échoué, recommencez, » dit Norrey lui-même avec sa rude franchise. Recommencer ! c’est là un facile conseil, mais combien Léonard le trouve dur ! — Triste et perplexe, luttant péniblement contre un découragement absolu, il retourne en Devonshire, mais à son foyer l’attend la consolatrice. Là est la douce voix qui répète ses passages bien-aimés, qui prophétise le succès ; peu à peu tout ce qui l’entoure reflète le sourire d’Hélène, et bientôt la conviction que Dieu a placé le bonheur hors d’atteinte du mépris ou des louanges du monde vient rendre à Léonard toute sa sérénité. Le lendemain il se promène joyeux avec Hélène, au bord de la mer, et, serrant la main de sa compagne, il murmure doucement : « Bénie soit la femme qui console. »

L’ouvrage conquit plus tard la renommée, mais les applaudissements du monde furent moins doux à l’oreille de Léonard que cette voix qui à l’heure du doute et de l’humiliation lui avait dit tout bas : « Crois et espère. »

Qu’il nous soit permis de tracer un pendant à cette peinture de la femme consolatrice.

Harley L’Estrange, peu de temps après son mariage, accepta une mission dans une de nos colonies, et l’accomplit avec un tel succès qu’à son retour en Angleterre il fut élevé à la pairie. On conçut alors de grandes espérances de la future carrière parlementaire d’Harley, mais celui-ci avait longtemps mené une vie d’indolence, et l’indolence a tant de charme pour un homme qui n’a rien à attendre ni à désirer de la fortune, qu’Harley eût continué à se rire de l’ambition, si une de ces crises politiques qui ne permettent à aucun homme de s’abstenir, n’était venue l’arracher aux douceurs de la vie privée.

Par une belle matinée de printemps, Harley est assis dans sa chambre de Knightsbridge, tantôt contemplant la verdure naissante, tantôt jouant avec Néron que le soleil réjouit comme son maître ;