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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/400

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également aux soucis de la pauvreté et à la responsabilité des richesses. La mort d’Egerton fit sur l’esprit de son fils une impression profonde, mais la découverte qu’il devait le jour à un homme d’État si renommé, eut pour effet, chez Léonard, non pas d’exciter, mais de calmer l’ambition passagère qui l’avait pendant quelque temps détourné d’aspirations plus sereines. Il n’avait plus à conquérir un rang qui dût le rendre l’égal d’Hélène. Il n’avait plus de père dont il voulût obtenir l’affection en flattant l’orgueil. Les souvenirs de son enfance et son goût pour la solitude lui faisaient redouter ce qu’une nature plus mondaine aurait considéré comme les précieux avantages d’un nom qui lui assurait l’entrée des sphères les plus élevées de notre monde social. Il n’avait pas besoin de ce nom pour acquérir un rang bien autrement durable que celui que confèrent les rois. Il conserva donc le nom qu’il s’était fait à lui-même et qu’il rattachait à l’humble souvenir de sa mère.

Léonard vit placer sur la tombe de Nora une pierre où était gravé ce nom d’épouse que devait venger cette chère mémoire. Il se sentit serrer dans les bras de sa grand’mère qui maintenant reconnaissait son petit-fils, et le vieux John lui-même s’aperçut que le cœur de son austère et silencieuse compagne était soulagé d’un poids immense de douleur.

Léonard avait amené Jeanne Fairfield à ses parents, et mistress Avenel l’accueillit avec une tendresse inattendue. Le nom inscrit sur la tombe de Nora avait adouci le cœur de la mère envers la fille qui lui restait. Comme disait le pauvre John, elle pouvait maintenant parler de Nora ; en parlant d’elle ensemble, la mère et la fille découvrirent combien elles avaient de sentiments communs, et lorsque, peu après son mariage, Léonard partit avec Hélène pour le continent, Jeanne Fairfield vint demeurer avec ses parents. Après leur mort elle refusa d’aller vivre avec Léonard, préférant s’établir dans une maison voisine de celle de son fils.

Léonard passa plusieurs années sur le continent, étudiant les mœurs diverses, le développement intellectuel des races vivantes, et les monuments des arts et des sciences, œuvres de celles qui les ont précédées.

De retour en Angleterre, il acheta une petite maison dans le comté de Devon, et là il travailla patiemment à un ouvrage dans lequel il voulait léguer à son pays ses plus nobles pensées revêtues de leurs plus belles formes. Le caractère de Léonard, les événements de sa vie le rendaient également impropre aux luttes de la démocratie littéraire. L’heureuse et calme influence sous laquelle se développait son génie se révélait dans l’harmonie exquise de ses couleurs plutôt que par la splendeur de leurs teintes. Hélène, gardienne soigneuse et jalouse de l’idéal dans lequel vivait le poète, s’emparait en silence de tous les petits soins, de toutes les préoccupations quotidiennes de la vie, supérieure qu’elle était à léonard en prudence et en prévoyance. Et si le génie de l’homme faisait du foyer un temple, la sagesse de la femme donnait à ce temple la sécurité d’une forteresse.