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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/44

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l’heure appelleraient un parvenu, je comprends combien vos sentiments sont naturels chez un gentilhomme de vieille date. Parvenu ! N’est-il pas étrange, Leslie, que ni la fortune, ni l’élégance, ni la réputation ne puissent effacer cette tache originelle ? Ils m’appellent parvenu, tout en m’empruntant mon argent. Ils appellent parvenu notre homme d’esprit de tout à l’heure, tout en subissant ses impertinences, si tant est qu’ils condescendent à s’occuper de sa naissance, pourvu qu’ils l’aient à leurs dîners. Ils appellent le premier orateur des communes un parvenu, et quelque jour ils le conjureront d’accepter le ministère et mendieront auprès de lui des étoiles et des jarretières. C’est là un singulier monde, et rien d’étonnant que les parvenus veuillent le renverser. »

Randal avait jusqu’ici supposé que cet obséquieux, ce capitaliste dandy, ce prêteur sur gages, dont toute la fortune était due aux besoins et aux folies d’une aristocratie, était naturellement un ferme adhérent de l’ordre de choses actuel. En existerait-il jamais de plus favorables aux hommes tels que le baron Lévy ? Cependant la sortie démocratique de l’usurier n’étonna pas l’expérience précoce de Randal et sa remarquable pénétration. Il avait déjà observé que ce sont les personnes qui rampent le plus bas devant l’aristocratie, qui sont toujours au fond ses plus amers contempteurs. D’où vient cela ? C’est que l’opinion démocratique se compose d’envie pour une bonne moitié, et que nous n’envions que ce que nous voyons, ce qui est près de nous, et que cependant nous ne pouvons atteindre. Personne ne songe à envier les archanges.

« Mais, dit Lévy se renversant sur sa chaise, un nouvel ordre de choses se prépare ; nous verrons, nous verrons, Leslie ; il est heureux pour vous de n’être pas entré au Parlement sous le ministère actuel ; c’eût été la ruine de votre carrière politique.

— Vous croyez donc réellement que le ministère ne peut durer ?

— Sans doute, je le crois, et qui plus est, je suis convaincu qu’aucun ministère, ayant les mêmes principes, ne rentrera jamais au pouvoir. Vous êtes jeune, capable et ambitieux ; votre naissance est insignifiante en présence du haut rang qu’occupent la plupart des soutiens du parti régnant, mais elle vous serait comptée dans le parti démocratique. À propos, je vous engage à vous montrer plus poli avec Avenel ; il pourrait, s’il le voulait, vous faire nommer aux prochaines élections.

— Aux prochaines élections ! Dans six ans ? Nous sortons d’avoir des élections générales.

— Il y en aura d’autres avant six mois, peut-être avant trois.

— Qui peut vous le faire croire ?

— Lestie, parlons ouvertement ; nous pouvons nous être mutuellement utiles. Vous plaît-il que nous soyons amis ?

— De tout mon cœur. Mais, bien que vous puissiez peut-être me servir, je ne vois pas comment, moi, je pourrais vous être utile.

— Vous me l’avez déjà été au sujet du Casino et de Frank Hazeldean. Tous les gens d’esprit peuvent m’être utiles. Allons, nous