Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douloureux, dont la mémoire m’est cependant si douce ? Hélène en Angleterre, cela me semble un rêve ! »

Il se leva et marcha vers la fenêtre. Les eaux de la fontaine jouaient gaiement, les oiseaux de la volière faisaient retentir l’air de leurs joyeuses chansons. « Et c’est ici, murmura-t-il, que je l’ai vue pour la dernière fois ! et c’est là, là, où le jet d’eau s’élance si brillant, là que son bienfaiteur et le mien m’a dit qu’il me fallait perdre Hélène et que je pourrais conquérir la gloire. Hélas ! »

En ce moment une femme dont les vêtements paraissaient être quelque peu au-dessus de son air et de ses manières, qui étaient des plus simples, entra dans la chambre, puis voyant le jeune homme immobile et pensif près de la fenêtre, elle s’arrêta. Elle était faite à ses habitudes, et depuis son succès dans le monde, elle avait appris à les respecter. Elle ne troubla donc pas sa rêverie, mais se mit doucement à arranger la chambre, essuyant les meubles avec le coin de son tablier, remettant les sièges en place, mais se gardant de toucher à un seul papier. (Vertueuse femme ! aussi rare que vertueuse.)

Le jeune homme se retourna enfin avec un soupir profond plutôt que triste, et dit :

« Bonjour, ma mère. Ah ! vous faites bien de ranger la chambre. Bonne nouvelle ! j’attends un ami.

— Ah, mon Dieu ! faudra-t-il lui préparer à déjeuner ?

— Non, je ne crois pas, ma mère. C’est celui auquel nous devons tout, hæc otia fecit, excusez mon latin, en un mot, c’est lord L’Estrange. »

Mistress Fairfield (je suppose que le lecteur a depuis longtemps deviné son nom), mistress Fairfield changea à l’instant de visage, et laissa voir une sorte d’agitation nerveuse qui lui donnait une certaine ressemblance avec la vieille mistress Avenel.

« Ne craignez rien, ma mère ; c’est le meilleur…

— Ne parlez pas ainsi, je ne puis supporter cela, s’écria mistress Fairfield.

— Rien d’étonnant que vous soyez émue au souvenir de tous ses bienfaits, mais lorsque vous l’aurez une fois vu, vous serez pour toujours à l’aise avec lui, ainsi donc, souriez, je vous en prie et paraissez aussi bonne que vous l’êtes réellement. Je suis fier de votre air honnête et ouvert lorsque vous êtes contente, ma mère. Il faut qu’il voie, comme moi, votre cœur sur votre visage. »

Et Léonard, passant le bras autour du cou de la veuve, l’embrassa. Elle s’appuya un instant sur lui, et il la sentit trembler de la tête aux pieds ; puis elle s’arracha de ses bras et s’enfuit hors de la chambre. Léonard crut qu’elle était allée changer quelque chose à sa toilette ou inspecter l’arrangement des autres pièces, car la maison, c’était là le dada, la passion de mistress Fairfield, et maintenant qu’elle n’était plus obligée de travailler pour vivre, c’était son occupation principale. Comment elle parvenait à s’agiter tous les jours pendant un temps si considérable dans les petites chambres pour y laisser, selon