Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant ce temps le baron s’était jeté dans sa voiture, la voiture la plus confortable qu’on puisse imaginer, un coupé d’un goût exquis, et au bout de quelques minutes il était à l’hôtel de *** et en présence de Giulio Franzini, comte de Peschiera.

« Mon cher, dit le baron en très-bon français et sur le ton de l’égalité la plus familière au descendant des princes et des héros de l’Italie du moyen âge ; mon cher, donnez-moi donc un de vos excellents cigares. Je crois avoir mis les choses en bon train.

— Vous avez découvert…

— Non, non, cela ne va pas si vite, dit le baron en allumant le cigare qui lui était tendu, mais ne m’avez-vous pas dit que vous seriez parfaitement satisfait si au prix de vingt mille livres vous pouviez marier votre sœur à qui vous les devez légalement, et épouser vous-même l’héritière ?

— Oui, en vérité.

— Eh bien, je ne doute pas qu’avec cette somme, je n’obtienne ces deux résultats, si toutefois Randal Leslie sait réellement où est la jeune fille et peut vous servir. C’est un jeune homme fort capable et qui promet que ce Leslie, mais il est innocent comme l’enfant qui vient de naître.

— Ha, ha ! innocent, mais que diable ?

— Innocent comme ce cigare, mon cher, il est fort certainement, mais il se fume très-aisément. Soyez tranquille ! »


CHAPITRE XIII.

Dans une petite chambre dont l’unique fenêtre ouvrait sur un jardin que nous avons déjà décrit, un jeune homme était seul. Il venait d’écrire, l’encre n’était pas encore séchée dans sa plume, mais le cours de ses pensées avait été interrompu, et ses yeux quittant la lettre, cause de cette interruption subite, brillaient d’une vive joie, « Il va venir ! s’écriait le jeune homme, venir ici dans cette maison que je lui dois. Je ne me suis pas montré indigne de son amitié. Et elle, sa poitrine se souleva, mais la joie disparut de son visage.

« Oh ! n’est-il pas étrange que je me sente triste à la pensée de la revoir ! La revoir, — non, ma petite Hélène, mon ange consolateur, je ne puis pas la revoir. L’enfant est devenue femme ; ce ne sera plus mon Hélène. — Et cependant, reprit-il après une pause, si elle lit jamais les pages qu’a éclairées sa distante lumière, si elle voit combien son image m’est demeurée présente et si elle comprend que là où l’on croit que j’invente, je n’ai fait que me souvenir, ne redeviendra-t-elle pas un instant du moins, mon Hélène ? Ne la verrai-je pas par le cœur et par la pensée debout près de moi sur ce pont désert, la main dans ma main ; orphelins tous deux comme nous étions dans ces jours si