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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/51

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L’Estrange se leva brusquement, serra la main de Léonard, murmura quelques mots inintelligibles, puis attirant le bras de son jeune ami sous le sien, il le conduisit dans le jardin et mit la conversation sur un autre sujet.

Léonard brûlait du désir de s’informer d’Hélène, et cependant je ne sais quelle crainte l’en avait jusqu’ici empêché. Mais voyant qu’Harley n’abordait pas de lui-même ce sujet, il ne put contenir son impatience.

« Et Hélène… miss Digby, dit-il, est-elle beaucoup changée ?

— Changée ? non… oui, beaucoup.

— Beaucoup ! et Léonard soupira. La verrai-je ?

— Certainement, dit Harley d’un air étonné. Comment pouvez-vous en douter ? Et je vous réserverai le plaisir de lui apprendre que vous êtes devenu célèbre. Vous rougissez… eh bien ! je le lui dirai pour vous, mais vous lui donnerez vos livres ?

— Elle ne les a donc pas lus ? Pas même le dernier ? Le premier n’était pas digne de son attention, dit Léonard désappointé.

— Elle ne fait que d’arriver en Angleterre, et, bien que vos livres me soient parvenus en Allemagne, elle n’était pas alors avec moi. Lorsque j’aurai terminé une affaire qui m’appelle hors de Londres, je vous présenterai à elle et à ma mère. »

Un certain embarras était visible chez Harley, tandis qu’il parlait ainsi. Se tournant soudain d’un autre côté, il s’écria :

« Vous avez mis de la poésie jusque dans ce jardin. Je n’aurais jamais cru qu’on pût faire quelque chose d’aussi beau de ce que je me rappelais comme le plus vulgaire des jardins de faubourg. Là où coule cette charmante fontaine était le banc grossier sur lequel je lisais vos vers.

— C’est vrai ; j’ai voulu rassembler ici mes plus chers souvenirs. Je crois vous avoir dit, milord, dans l’une de mes lettres, que j’avais dû des jours qui comptent parmi les plus heureux en même temps que les plus agités de ma vie, à la singulière bonté et aux généreux enseignements d’un étranger que je servais. Cette fontaine est copiée sur celle que j’avais faite dans son jardin, et près de laquelle, dans les longs jours d’été, j’avais coutume de m’asseoir pour rêver de science et de célébrité.

— C’est vrai, je me le rappelle ; cet étranger sera sans doute heureux de vos succès et de votre souvenir reconnaissant. Mais vous ne m’avez pas dit son nom ?

— Il s’appelle Riccabocca.

— Riccabocca ! mon cher et noble ami ! Est-ce bien possible ? C’est en partie à cause de lui que je suis revenu en Angleterre. Voulez-vous m’accompagner ? j’ai l’intention de partir ce soir pour l’aller trouver.

— Mon cher lord, dit Léonard, je crois qu’il n’est pas nécessaire d’entreprendre pour cela un bien long voyage. J’ai des raisons de penser que le signor Riccabocca est mon très-proche voisin. Il y a deux jours, étant dans ce jardin, je levai par hasard les yeux vers