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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/50

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vous apprendrez pourquoi les grands poètes ont généralement vécu dans les cités. »

Léonard écrivit donc de nouveau, et un matin il s’éveilla célèbre. Autant que peuvent le permettre les hasards des professions qui dépendent de la santé, son indépendance présente était assurée, et avec de la prévoyance et de l’économie, il pouvait espérer d’être bientôt sans inquiétude pour l’avenir.

« En un mot, dit Léonard en terminant un récit plus long mais plus simple que celui que nous venons de faire, j’ai l’espoir de toucher une somme qui me laissera, pour le reste de ma vie, libre de choisir mes propres sujets et d’écrire sans souci de la rémunération. C’est là, selon moi, la véritable indépendance (bien rare, hélas !) de celui qui a voué sa vie aux lettres. Norrey ayant vu un plan que j’avais fait en m’amusant pour remédier aux vices d’une machine à vapeur, voulut absolument que je consacrasse une partie de mon temps à l’étude de la mécanique. Cette étude, qui m’avait plu autrefois, me semblait maintenant ennuyeuse ; néanmoins je m’y adonnai courageusement, et je finis par perfectionner si bien mon idée originale, qu’elle obtint l’approbation d’un de nos plus savants ingénieurs, et on me propose aujourd’hui de m’en acheter le brevet à un prix que j’aurais honte de vous dire, tant il me paraît hors de proportion avec la valeur d’une découverte aussi simple. Quoi qu’il en soit, je suis déjà assez riche pour avoir réalisé les doux rêves de mon cœur ; j’ai acheté le cottage où je vous avais vu pour la dernière fois avec Hélène, avec miss Digby, veux-je dire, et j’ai reçu dans cette maison celle qui a abrité mon enfance.

— Votre mère ! où est-elle ? Je voudrais la voir. »

Léonard courut appeler la veuve, mais, à sa grande surprise, il apprit qu’elle avait quitté la maison avant l’arrivée d’Harley.

Il revint fort embarrassé d’expliquer une conduite qui paraissait ingrate et peu polie, et il parla en rougissant de la timidité de mistress Fairfield, et du sentiment qu’elle avait conservé de son humble position.

« Elle est en outre si accablée, ajouta-t-il, du souvenir de tout ce que nous vous devons, qu’elle n’entend jamais prononcer votre nom sans une sorte d’agitation, et qu’elle tremblait comme la feuille à l’idée de vous voir.

— Ah ! fit Harley avec une émotion visible. Et il appuya la tête sur sa main. Vous attribuez cette agitation que lui cause mon nom, cette crainte de me voir, reprit-il après une pause, mais sans lever la tête, uniquement à un sentiment exagéré de… des circonstances dans lesquelles j’ai fait connaissance avec vous ?

— Et aussi, peut-être, à une sorte de honte que la mère de celui dont vous l’avez rendue fière ne soit qu’une paysanne.

— C’est là tout ? dit Harley d’un ton sérieux, et relevant la tête, il fixa des yeux humides sur le visage ingénu de Léonard.

— Ô mon cher lord ! que serait-ce donc ? Ne la jugez pas sévèrement, je vous en conjure. »