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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/57

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et l’avide ambition de ses principaux chefs, si vous n’y eussiez été entraîné par les mensonges et la trahison de votre parent, de celui-là même qui vous avait dénoncé. Malheureusement je n’avais à l’appui de ces assertions d’autre preuve que votre propre parole. Je produisais, cependant, assez d’impression en votre faveur, pour que vos biens ne fussent pas confisqués par l’État, ni transférés à votre parent sous prétexte de votre mort civile.

— Comment ! Je ne vous comprends pas ; Peschiera ne jouit-il pas de mes domaines ?

— Il jouit de la moitié des revenus sous le bon plaisir de la couronne, et cette jouissance lui serait retirée, si je réussissais à prouver sa trahison envers vous. On m’avait d’abord défendu de vous parler de cela ; le ministre avait voulu vous soumettre à l’épreuve d’un exil sans conditions. Il voulait savoir si vous vous tiendriez à l’écart d’autres conspirations, pardonnez-moi le mot. Je n’ai pas besoin de dire qu’il me fut permis de retourner en Lombardie. J’appris à mon arrivée que votre malheureuse femme était venue chez moi, et avait manifesté un profond désespoir en apprenant mon départ. »

Riccabocca fronça le sourcil et respira bruyamment.

« Je ne jugeai pas nécessaire de vous informer de cette circonstance ; je n’en fus pas moi-même très-affecté. Je la croyais coupable, et de quoi pouvaient maintenant servir ses remords, si tant est qu’elle en eût. J’appris bientôt après qu’elle avait cessé de vivre.

— Oui, murmura Riccabocca, elle mourut la même année que je quittai l’Italie, et il faut sans doute à un ami de bien fortes raisons pour se croire le droit de me rappeler qu’elle a vécu.

— J’arrive à ces raisons, dit doucement L’Estrange. L’automne dernier je parcourais la Suisse, lorsque dans une de mes excursions pédestres j’éprouvai un accident qui me retint quelques jours dans une petite auberge de village. Mon hôtesse était italienne, et comme j’avais laissé mon domestique à la ville, j’eus recours à ses soins jusqu’à ce que je pusse lui écrire de venir me trouver. Son babil me divertissait ; nous devînmes bons amis. Elle me conta qu’elle avait été domestique chez une dame de haut rang qui était morte en Suisse ; qu’enrichie par la générosité de sa maîtresse elle avait épousé un aubergiste suisse et que le pays de son mari était devenu le sien. Mon domestique arriva et mon hôtesse apprit de lui mon nom, qu’elle ne connaissait pas auparavant. Elle entra dans ma chambre fort agitée. Bref, elle avait servi votre femme. Elle l’avait accompagnée à ma villa, et avait été témoin de son vif désir de me voir. Le gouvernement avait assigné à la duchesse votre palais de Milan avec un certain revenu. Elle avait refusé tous les deux. Ne pouvant me voir, elle était partie pour l’Angleterre résolue à vous voir vous-même, car elle avait su par les journaux que l’Angleterre était le lieu de votre refuge.

— Elle avait osé ! Quelle hardiesse ! Et voyez, il n’y a qu’un instant, j’avais tout oublié si ce n’est son tombeau dans une terre étrangère, et mes larmes lui avaient pardonné, murmura l’Italien.