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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/63

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pu dire d’où venait sa joie. C’était principalement avec Léonard qu’elle causait ; et Harley gardait presque constamment le silence ; il écoutait l’éloquence ardente et sans prétention de Léonard, cette éloquence qui coule si naturellement des lèvres d’un homme de génie lorsqu’il est complètement à l’aise et entouré d’auditeurs sympathiques ; il écoutait avec plus de plaisir encore les sentiments moins profonds mais non moins vifs, les sentiments si féminins et cependant si nobles avec lesquels le cœur vierge de Violante répondait à l’âme enflammée du poète.

Ces sentiments étaient si loin de tout ce qu’il entendait dans le monde de chaque jour, si semblables à ceux qui l’avaient animé dans sa première jeunesse ! Parfois, en entendant la jeune fille exprimer une idée élevée, ou citer, d’une voix mélodieuse, quelques beaux vers italiens, il relevait soudain la tête, ses lèvres s’agitaient comme s’il eût entendu le son de la trompette. Il se sentait prêt à secouer sa longue inertie. L’héroïsme, qui dormait au fond de son cœur, se réveillait et lui suscitait mille généreuses pensées. Lorsqu’il se leva pour s’en aller, surpris que l’heure fût si avancée, Harley dit d’un ton qui prouvait la sincérité du compliment :

« Je vous remercie des heures les plus heureuses que j’aie passées depuis longtemps. » En disant ces mots, il tourna ses regards vers Violante. Mais celle-ci fut intimidée par son regard, et il n’eut plus devant lui, au lieu d’une muse inspirée, qu’une jeune fille modeste et timide.

« Et quand vous reverrai-je ? dit Riccabocca à son hôte en le reconduisant.

— Quand ? mais demain, bien entendu. Adieu, mon ami. Je ne m’étonne plus que vous ayez supporté l’exil si patiemment… avec une telle fille ! »

Il prit le bras de Léonard et alla avec lui jusqu’à l’auberge où il avait laissé son cheval. Léonard parlait de Violante avec enthousiasme ; Harley gardait le silence.


CHAPITRE XVII.

Le lendemain, un équipage des plus aristocratiques, bien que d’une forme un peu surannée, s’arrêta à la porte du jardin de Riccabocca. Giacomo, qui, d’une fenêtre du premier étage, l’avait aperçu se dirigeant vers la maison, fut saisi d’une terreur inexprimable en le voyant s’arrêter sous les murs et en entendant résonner la cloche de la grande porte. Il courut vers son maître et le supplia de ne pas bouger, de ne pas permettre que personne donnât entrée aux ennemis que la machine pourrait vomir.