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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/62

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— Chut ! Je vais en avoir un. Jemima me l’a appris hier matin, et c’est ce qui m’a décidé à parler à Leslie.

— Vous allez avoir un fils, répéta Harley étonné ; et comment savez-vous que ce sera un fils ?

— Les physiologistes s’accordent à dire, répliqua le sage d’un ton positif, que lorsque le mari est beaucoup plus âgé que la femme et que celle-ci a été longtemps avant de condescendre à augmenter la population du globe, elle donne naissance (neuf fois sur quatre du moins), elle donne naissance à un enfant mâle. Je regarde donc ce point comme décidé par les calculs de la statistique et les recherches des naturalistes. »

Harley ne put s’empêcher de rire, en dépit de son mécontentement,

« Toujours le même, toujours la dupe de la philosophie.

Cospetto ! dites plutôt que je suis le philosophe des dupes. Et en parlant de cela, il faut que je vous présente à Jemima.

— Oui, mais à mon tour je veux vous présenter quelqu’un qui se rappelle vos bontés avec reconnaissance et à qui, par extraordinaire, votre philosophie n’a pas fait de tort. Il faudra qu’un jour ou l’autre vous m’expliquiez cela. Excusez-moi un moment. Je vais le chercher.

— Chercher qui ? Dans ma position je dois être prudent et…

— Je réponds de sa discrétion. En attendant, ordonnez le dîner, car mon ami et moi nous vous restons.

— Le dîner ? Corpo di Bacco ! Ce n’est pas que Bacchus nous puisse être ici d’un grand secours. Mais que dira Jemima ?

— Arrangez cela avec votre tyran conjugal ; mais il nous faut à dîner. »

Je laisse au lecteur de se représenter la joie de Léonard en retrouvant Riccabocca toujours le même, Violante si embellie, et la bonne Jemima, puis l’étonnement de ceux-ci en apprenant ses aventures, ses ouvrages, sa réputation. Il raconta ses luttes et ses travaux avec une simplicité qui enleva à ce récit tout personnel le caractère de l’égotisme ; mais lorsqu’il en arriva à parler d’Hélène, il se montra bref et réservé.

Violante, qui eût voulu plus de détails, lui adressa quelques questions, mais, à la grande satisfaction de Léonard, Harley intervint.

« Vous verrez bientôt, dit-il, celle dont il parle et vous la questionnerez vous-même. »

Puis il fit prendre au récit du jeune homme une autre direction, et Léonard causa de nouveau librement. La soirée se passa ainsi agréablement pour tous, excepté pour Riccabocca ; car la pensée de Pauline ne cessait d’être présente à l’esprit de l’exilé ; lorsqu’elle lui devenait trop pénible, il se rapprochait de Jemima, contemplait son visage si bon et si simple et serrait sa main dévouée. Et cependant le monstre avait insinué à Harley que sa consolatrice n’était qu’une sotte, et elle l’était en effet d’aimer ce méprisable détracteur d’elle-même et de son sexe.

Violante était dans un état de délicieuse animation ; elle n’aurait