Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient fait déclarer qu’elle n’apporterait pas à un mari ses embarras pécuniaires, commençaient à fléchir sous la pression de la nécessité.

Elle n’opposait plus à Randal que de faibles objections, alors qu’il lui conseillait de ne pas attendre la découverte incertaine d’où devait dépendre son douaire, mais de s’assurer à la fois, par une union secrète avec Frank, la liberté et la sécurité. En même temps, quoiqu’il eût d’abord présenté au jeune Hazeldean le douaire de Béatrix comme un moyen de se justifier aux yeux du squire, il lui fut aisé d’abandonner cette considération, qui avait toujours refroidi plutôt qu’excité l’esprit ardent et le noble cœur du pauvre officier des gardes. Randal pouvait d’ailleurs, en toute vérité, dire que, lorsqu’il avait demandé au squire s’il désirait que la femme de Frank eût une grande fortune, le squire avait répondu : « Cela m’est indifférent. »

Ainsi encouragé par son ami, par son propre cœur et par l’accueil affectueux d’une femme qui certes eût pu tourner des têtes plus sages et plus solides que la sienne, Frank se jeta tête baissée dans le piège qui lui était tendu. Et quoiqu’il fût encore bien éloigné de vouloir proposer à Béatrix de l’épouser sans le consentement et à l’insu de ses parents, cependant Randal, en laissant une nature bonne, il est vrai, mais toute d’impulsion, et étrangère à la moindre discipline, aux prises avec la première passion vive qu’elle eût ressentie, se croyait certain du résultat. Rien n’avait été plus aisé que de dissuader Frank de faire dans ses lettres la moindre allusion à Béatrix, car, disait l’adroit imposteur, « bien que nous soyons assurés du consentement de mistress Hazeldean, et du pouvoir qu’elle aura sur votre père, lorsque la chose sera une fois faite, cependant nous ne pouvons nous fier au squire ; il est vif et emporté ; il pourrait venir à Londres y voir Mme di Negra, laisser échapper quelques expressions violentes qui la blesseraient et la rendraient pour jamais sourde à vos vœux ; et peut-être ensuite serait-il trop tard s’il se repentait, comme il le ferait certainement. »

En attendant, Randal, faisant trêve à ses habitudes d’économie, donna, à l’hôtel de Clarendon, un dîner dans lequel il réunit Frank, M. Borrowell et le baron Lévy.

Cette araignée, qui chassait si adroitement ses mouches au travers de toiles si nombreuses et si embrouillées, était encore obligée d’amuser Mme di Negra avec des assurances que les fugitifs qu’elle cherchait seraient tôt ou tard découverts. Bien que Randal eût ôté à la marquise l’idée qu’il connaissait les exilés (les personnes auxquelles il avait songé différaient complètement, lui avait-il dit, de sa description ; il lui avait même présenté un vieux maître de chant avec une fille au visage couleur de bistre, comme étant les Italiens qui avaient causé son erreur), Béatrix avait été obligée, pour prouver à son frère son désir sincère de lui venir en aide, de présenter Randal au comte. Randal, de son côté, n’était pas moins désireux de connaître son rival et même de gagner sa confiance.

Tous deux se rencontrèrent chez Mme di Negra.

Il y a quelque chose d’étrange, de presque magnétique dans le