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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/70

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son cœur pur était fortifié par la confiance qu’un autre avait mise en elle.

« Avez-vous jamais entendu reparler de cet excellent docteur Morgan, qui avait des pilules contre le chagrin et qui s’est montré si bon pour nous, quoique, ajouta-t-elle en rougissant, nous ne fussions pas alors de cet avis ?

— Il m’avait pris mon ange gardien, dit Léonard avec une émotion visible, et si je ne l’eusse retrouvé, où serais-je et que serais-je aujourd’hui ? Je lui ai pardonné, mais je ne l’ai jamais revu depuis.

— Et ce terrible M. Burley ?

— Pauvre Burley ! Lui aussi, il a disparu de ma vie actuelle, je me suis informé de lui, mais tout ce que j’ai pu apprendre, c’est qu’il est allé sur le continent, à ce que l’on suppose, en qualité de correspondant d’un journal. J’aurais tant de plaisir à le revoir aujourd’hui que peut-être je pourrais lui venir en aide, comme il a fait pour moi autrefois.

— Lui ? ah ! Léonard ! »

Léonard sourit, et son cœur battit plus vivement en retrouvant ce cher regard plein de prudence qui l’avertissait autrefois, et involontairement il se rapprocha d’Hélène. Celle-ci semblait par degrés redevenir telle qu’il l’avait connue.

« Oui, Hélène, il m’est venu en aide par ses enseignements et plus encore peut-être par ses fautes. Vous ne sauriez croire, Hélène, — pardon, je veux dire miss Digby, j’oubliais que nous ne sommes plus enfants ; — vous ne sauriez croire combien nous autres hommes et surtout nous autres écrivains, dont c’est la tâche de démêler les fils embrouillés des actions humaines, nous sommes redevables à nos propres fautes ; et malheur à nous si les fautes des autres ne nous instruisaient pas. Il faut que nous sachions où est l’écueil avant d’ériger le fanal, car les livres sont les fanaux de la vie humaine.

— Les livres ! Et moi qui n’ai pas lu les vôtres. Lord L’Estrange me dit que vous êtes devenu un homme célèbre. Et cependant vous vous souvenez toujours de moi, de la pauvre orpheline que vous trouvâtes pleurant au tombeau de son père, et dont vous ne craignîtes pas de surcharger votre existence déjà si lourde et si pénible. Non, appelez-moi toujours Hélène, vous serez toujours pour moi… un frère ! Lord L’Estrange le comprend ; il me l’a dit lui-même en m’apprenant que j’allais vous revoir. Il est si noble et si généreux ! Mon frère, s’écria tout à coup Hélène en tendant la main, tandis que son doux visage s’éclairait d’une expression sublime, mon frère, nous ne trahirons jamais son estime, nous ferons tous deux tous nos efforts pour lui rendre ce qu’il a fait pour nous ! N’est-ce pas ? »

Léonard se sentit accablé d’émotions diverses et confuses. Touché jusqu’aux larmes par cet affectueux appel, frissonnant au contact de la main qui touchait la sienne, et cependant saisi d’une crainte vague que les paroles d’Hélène ne signifiassent autre chose que ce qu’elles semblaient dire… quelque chose qui devait mettre fin à toute espé-