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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/75

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« Je me suis promis en revenant en Angleterre, dit-il, de n’y voir personne qui connût le rang que j’avais occupé dans mon pays. J’ai senti qu’il me fallait toute ma philosophie pour m’habituer à ma nouvelle vie, et que si je voulais trouver ces biens qui ennoblissent toute existence, la dignité et la paix, il était nécessaire à la pauvre et faible nature humaine d’oublier entièrement le passé. Ce serait pour ma sagesse un terrible écueil que de venir dans votre maison et d’y retrouver momentanément, dans votre bonté et votre respect, et jusque dans l’atmosphère de votre société, le sentiment de ce que j’ai été, et puis ensuite, si l’espoir douteux de mon rappel venait à s’évanouir, de me retrouver pour le reste de ma vie ce que je suis aujourd’hui. Si j’étais seul, je m’exposerais peut-être au danger, mais ma femme, qui est maintenant heureuse et contente, le serait-elle encore lorsque vous l’auriez pour un temps arrachée à la modeste position qu’elle occupe ? Ne me faudrait-il pas écouter des regrets, des espérances, des craintes qui perceraient à jour le mince manteau de ma philosophie ? À présent même, depuis que dans un moment de faiblesse je lui ai confié mon secret, elle m’a plus d’une fois jeté mon rang à la face, sans y attacher grande importance, il est vrai, néanmoins le coup est rude. Aucune pierre ne vous blesse plus cruellement que celle qui est prise dans les ruines de votre maison, et plus grande est la maison, plus lourde est la pierre. Protégez donc ma fille, chère madame, protégez-la, puisque son père craint d’être impuissant à le faire ; mais je ne saurais accepter rien de plus. »

Riccabocca se montra inflexible ; on s’en tint donc à sa décision et l’on convint que Violante passerait chez lady Lansmere pour la fille du docteur Riccabocca.

« Et maintenant un mot encore, dit Harley. Ne communiquez pas ces arrangements à M. Leslie ; laissez-lui ignorer où demeure Violante, au moins jusqu’à ce que je vous autorise à le lui confier. Vous pourrez vous excuser près de lui sur ce qu’il est inutile qu’il le sache, à moins que ce ne soit pour aller la voir, et qu’en ce cas ses démarches pourraient être espionnées. Vous pouvez lui donner cette même raison pour l’engager à suspendre les visites qu’il vous fait. Permettez-moi d’apprendre à connaître davantage ce jeune homme. J’espère avoir d’ici à peu l’occasion de me rendre compte de la nature réelle des plans de Peschiera. Sa sœur a désiré me voir, je lui en fournirai l’occasion. D’après ce que j’ai appris d’elle dans mon dernier séjour sur le continent, je ne puis croire qu’elle consente à servir d’instrument au comte dans aucune tentative réellement criminelle ; elle possède, dit-on, des qualités que je ne lui supposais pas d’abord, et peut-être parviendrons-nous à la soustraire à l’influence de son frère. On nous déclare la guerre, nous la porterons dans le camp de l’ennemi. Vous me promettez donc de vous abstenir de toute nouvelle confidence envers M. Leslie ?

— Oui, pour le présent, dit Riccabocca d’un air de regret.

— Ne lui dites pas même que vous m’avez vu, à moins qu’il ne vous apprenne que je suis en Angleterre et que je désire savoir où