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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/97

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les bancs affectés aux étrangers de marque que le président donne ordre de laisser rentrer.

Là, Randal entendit les grands hommes du jour avec cet étonnement presque dédaigneux de leur réputation, assez commun chez les jeunes gens instruits et capables qui ignorent ce que c’est que de parler à la Chambre des communes. Il entendit beaucoup de mauvais anglais, beaucoup de raisonnements vulgaires et rebattus, quelques pensées éloquentes et des arguments serrés souvent énoncés d’une voix saccadée ou nasillarde et accompagnés de gestes qui eussent scandalisé le directeur d’un théâtre de province. Il se disait qu’il parlerait bien mieux que ces grands orateurs, avec une logique plus pressante, des périodes plus harmonieuses, un langage plus semblable à celui de Burke ou de Cicéron. Et en effet, il eût probablement parlé de la sorte, et par cette raison même eût éprouvé l’échec le plus radical, celui qui accompagne toujours une imitation prétentieuse de Burke ou de Cicéron. Il se convainquit néanmoins que dans une assemblée populaire, ce n’est pas précisément la science qui fait le pouvoir, ou du moins que c’est la science particulière de cette assemblée et du langage propre à y réussir. La passion, l’invective, le sarcasme, une déclamation hardie, un bon sens vif et net, la présence d’esprit que possèdent si rarement les intelligences méditatives, telles étaient les qualités qui entraînaient le succès, tandis qu’un homme qui ne faisait preuve que de science dans le sens habituel du mot, courait grand risque de s’entendre huer.

Randal distingua bientôt sur le banc ministériel Audley Egerton, les bras croisés, son chapeau rabattu sur le front, et les regards fièrement fixés sur chaque orateur de l’opposition qui occupait la tribune. Randal entendit deux fois Egerton et s’étonna de l’effet qu’il produisait, car de toutes les qualités que nous venons d’énumérer, Egerton ne possédait à un haut degré que le bon sens et la présence d’esprit. Et cependant, bien qu’il ne fût pas bruyamment applaudi, aucun orateur ne semblait satisfaire davantage ses amis et imposer plus de respect à ses ennemis. Le véritable secret d’Egerton, que Randal ne pouvait deviner, puisque malgré sa naissance, son éducation à Eton, et son physique distingué, la nature ne l’avait pas fait gentleman, le secret d’Egerton, c’était qu’il parlait en vrai gentleman anglais.

C’était un gentleman de talent et d’expérience, exprimant des opinions sincères et non un rhéteur faisant des phrases et visant à l’effet. Egerton était en outre un homme du monde consommé ; il exprimait avec une simplicité nerveuse ce que son parti désirait qui fût dit, et faisait ressortir ce que ses adversaires sentaient être les points saillants et décisifs de la question.

Calme, digne, et cependant vigoureux, avec un accent légèrement monotone, des gestes rares et contenus, mais énergiques, Audley Egerton faisait impression sur les esprits les plus vulgaires en même temps qu’il charmait les plus délicats.

Mais lorsque vinrent des allusions à certaine question populaire sur laquelle le ministre avait déclaré se refuser à toute concession