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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/16

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terre, la source d’où découlaient visiblement les plaisirs les plus vifs, les délices les plus ravissantes et les plus constantes ? Il était tout naturel qu’il honorât cette source de jouissances et qu’il lui fît des offrandes pieuses ; imitons un si bel exemple. Faisons des réceptacles de notre digestion, un temple auquel nous consacrerons les biens les plus précieux que nous possédions ; qu’il n’y ait point de sacrifice pécuniaire trop grand pour nous quand il s’agira de faire à notre autel un don digne de notre divinité ; regardons comme une impiété d’hésiter en face d’une sauce extravagante ou d’un ortolan hors de prix ; et que le dernier acte de notre existence sublunaire soit un festin solennel en l’honneur de notre estomac, notre bienfaiteur de tous les jours.

— Amen, dis-je, l’épicuréisme en gastronomie est la clef de toute moralité. En effet, ne voyons-nous pas combien on est coupable de se laisser aller à une intempérance exagérée et dégoûtante ? Ne serait-ce pas faire preuve d’une ingratitude impardonnable envers cette grande source de jouissances que de la surcharger d’un poids qui l’oppresserait, la rendrait languissante, harassée, et lui ferait souffrir de cruelles douleurs ; et enfin de couronner cette œuvre impie par l’ingurgitation de quelque boisson nauséabonde dont le résultat serait de révolter notre divinité, de la torturer, de la bouleverser, de l’irriter, de l’affaiblir et de porter le trouble dans tout son être. Combien nous avons tort de nous abandonner à la colère, à la jalousie, aux projets de vengeance et à toutes les mauvaises passions ; en effet tout ce qui agit sur l’esprit ne réagit-il pas en même temps sur l’estomac ? Et comment pouvons-nous être assez vicieux, assez endurcis, pour oublier, un seul instant, nos devoirs envers ce que vous avez si justement désigné sous le nom de notre bienfaiteur perpétuel.

— Vous avez raison, me dit lord Guloseton, buvons une rasade à la moralité de l’estomac. »

On servit le dessert. « J’ai bien dîné, dit Guloseton en étendant les jambes avec un air de suprême satisfaction. Mais (et ici mon philosophe soupira profondément) nous ne pouvons plus dîner d’ici à demain ! Heureux, trois