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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/22

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contre, que je devais passer pour avoir conseillée, comment pourrais-je espérer qu’elle me garderait ces sentiments qui étaient, pour le présent, mes plus chères et mes plus douces espérances. J’étais assiégé par ces pénibles pensées lorsque la voiture s’arrêta à la porte de l’hôtel de Tyrrell.

Le garçon me dit que sir John Tyrrell était à l’estaminet ; je m’y rendis aussitôt. Dans un cabinet voisin du poêle, je trouvai Tyrrell assis avec deux hommes, espèces de roués de l’ancien régime, de ceux qui prennent la débauche pour une marque de virilité, qui veulent montrer par là qu’ils sont forts et vraiment anglais, et affichent comme une vertu ce qu’ils devraient cacher comme un vice. Tyrrell me salua familièrement lorsqu’il m’aperçut ; je compris en voyant des bouteilles vides placées près de lui et l’éclat dont brillait sa face habituellement pâle, qu’il n’avait pas été précisément sobre ce soir-là. Je lui dis à l’oreille que j’avais à l’entretenir d’un sujet d’une grande importance ; il se leva avec une répugnance visible, et après avoir bu un grand verre de vin de Porto pour se donner du cœur, il me conduisit dans un petit cabinet. Là, il commença par s’asseoir, après quoi, avec cet air moitié rude moitié poli qui lui était habituel, il me demanda ce qui m’amenait. Je ne lui répondis pas. Je me contentai de lui mettre dans la main le billet doux de Glanville. La chambre où nous étions n’était éclairée que par une seule chandelle et la flamme légère du foyer auprès duquel le joueur était assis projetait par intervalles une lueur subite sur ce visage sombre et fortement accentué. On eût dit une étude de Rembrandt.

J’approchai ma chaise de la sienne, et, recouvrant mes yeux de ma main, je me tins assis en silence, attendant l’effet qu’allait produire la lettre. Tyrrell (je le crois) avait été originairement d’une forte trempe, et avait contracté au milieu des désordres et des aventures de sa vie accidentée l’habitude de dissimuler ses émotions et de paraître insensible. Mais soit que son corps fût usé par les excès, soit que le langage insultant du billet le touchât au vif, il parut tout-à-fait incapable de maîtriser ses sentiments. La lettre avait été écrite à la hâte d’une main mal assurée ; les