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de sarcasmes à l’adresse des propriétaires, ce qui ne déplut pas le moins du monde à la marquise et à ses compagnes ; le fait est que, lorsqu’on annonça que le dîner était servi, elles se levèrent avec une gaîté bruyante qui ne rappelait guère l’étiquette aristocratique. Pour ma part, j’offris mon bras à lady Harriett et je lui fis assez de compliments dans le trajet du salon à la salle à manger pour faire tourner une tête plus solide que n’était celle de Sa Seigneurie.

Le dîner se passa assez agréablement tant que les dames y assistèrent, mais au moment où elles sortirent de table, j’éprouvai un sentiment analogue à celui d’un enfant gâté, lorsqu’il quitte sa tendre mère pour se trouver abandonné la première fois dans ce lieu étrange, froid, désolé qui s’appelle une pension.

Pourtant je n’étais pas d’humeur à laisser à l’ombre les fleurs de ma rhétorique. D’ailleurs, il m’était tout à fait indispensable de donner à mon hôte une meilleure opinion de mes talents. Je mis donc les coudes sur la table résolûment, pour prêter attention à toutes les conversations ; à la fin j’aperçus en face de moi, sir Lionel Garrett, personnage dont je n’avais même pas songé à demander des nouvelles, et à qui je ne songeais guère. Il était occupé à discuter avec vivacité et à grand bruit la loi sur la chasse. Grâce à Dieu, me dis-je, me voilà sur mon terrain. L’intérêt que chacun prenait à ce sujet et les éclats de voix qui accompagnaient le débat, fondirent bientôt toutes les conversations particulières dans une conversation générale.

« Eh quoi ! disait sir Lionel d’une voix très-haute, à un jeune homme modeste et tremblant qui sortait sans doute de Cambridge, et qui soutenait le côté libéral de la question. Croyez-vous qu’il soit de notre intérêt de permettre qu’on ne nous consulte jamais, et qu’on nous prive de notre unique amusement ? Quelle est donc, selon vous, la raison qui fait que les gentilshommes se dérangent de leurs campagnes pour aller à la chambre ? Ignorez-vous donc, monsieur, de quelle importance il est pour la nation que nous résidions sur nos terres ? Détruire la loi sur la chasse, c’est détruire notre existence nationale. »

Allons, me dis-je, voilà le moment de parler.