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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/41

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chose, l’autre m’en cria une autre, je n’existai plus pour lord Chester, il ne fit plus attention à moi. Je me réfugiai près de la marquise ; elle était aussi maussade qu’on pût l’être par ce maudit vent d’est. Lady Harriett ne voulait parler que de chevaux ; sir Lionel ne voulait pas parler du tout. J’étais dans un désespoir affreux et les diables bleus qui assaillaient mon esprit n’étaient pas d’une couleur moins foncée que le nez de lady Chester. Muet, triste et boudeur, je m’éloignai de la foule en faisant des réflexions philosophiques sur les déplorables penchants de l’espèce humaine. On devient merveilleusement honnête quand on est en face d’un vice qu’on ne partage pas. Heureusement pour moi, mon bon ange me fit souvenir que j’avais, à trois milles du champ de courses, un vieil ami de collège qui, depuis que nous ne nous étions vus, était entré en possession d’un presbytère et d’une femme. Je connaissais trop bien ses goûts pour penser que les séductions d’un exercice équestre quelconque pussent l’arracher aux douceurs de sa bibliothèque et aux charmes respectables de ses livres. Espérant donc le trouver chez lui, je dirigeai mon cheval de ce côté, et, tout joyeux de mon escapade, je dis adieu aux courses.

J’arrivais à l’extrémité de la bruyère, au petit galop, lorsque mon cheval fit un écart pour éviter un objet qui était à terre ; c’était un homme enveloppé des pieds à la tête dans un grand manteau de cheval et dont la figure était si bien garantie contre les intempéries d’un ciel inclément que je ne pus absolument rien distinguer de ses traits à travers le chapeau et le cache-nez qui le recouvraient. Il avait la tête tournée avec un air d’anxiété visible vers la foule qu’on apercevait dans le lointain. Pensant que c’était un homme du peuple, je lui adressai en passant, du ton de familiarité dont j’use d’ordinaire avec les inférieurs, quelque remarque insignifiante sur les courses. Il ne répondit rien. Il y avait dans sa personne quelque chose qui piquait ma curiosité ; aussi, après l’avoir dépassé, me retournai-je pour le regarder encore. Il n’avait pas bougé d’une ligne. Le silence et le mystère laissent toujours dans l’esprit une impression pénible ; la vue de cet homme, avec son déguisement et son immobilité silencieuse qui n’avaient pour-