Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme sévère mais aimable qui nous enseignait les mathématiques. Il y avait dans son regard un mélange d’approbation et de pitié, lorsqu’il voyait son meilleur élève, dont la face pâle et les joues creuses attestaient l’ardeur pour le travail, se hâter après chaque récréation de retourner à ses chiffres arides et aux livres rongés des vers qui étaient tout son plaisir, toute sa joie, toute l’illusion de sa jeunesse.

C’est une triste chose et que comprendront seuls ceux qui ont été élevés dans un collège, que de voir le corps amaigri des aspirants aux honneurs académiques, d’observer comment la première fraîcheur, la verdeur, la joie, la vie même de la vie s’engloutissent à tout jamais dans un labor ineptiarum inutile aux autres et à eux-mêmes.

Nous plaignons de tous les sacrifices qu’ils font à l’idéal, le poète, le philosophe, le savant, mais nous savons aussi quelle en est la compensation.

De l’obscurité de leur retraite part une lumière, du silence de leur étude, une voix qui vient éclairer et convaincre. Nous pouvons nous les figurer dédaignant de se plaindre de leur dénûment présent parce qu’ils ont l’œil fixé sur l’avenir, et caressant au fond de leur cœur, avec un orgueil bien légitime, l’espoir de la récompense que leurs travaux leur promettent. Pour ceux qui peuvent jouir à l’avance du vaste champ de l’immortalité, qu’est-ce que les privations et la stérilité d’un présent misérable ? Mais l’homme qui ne s’est voué qu’à l’étude des langues et à l’érudition pure, qui n’est qu’une machine à apprendre, fonctionnant pesamment et sans utilité, un Christophe Colomb consumant dans la chiourme d’une galère, la rame en main, une énergie suffisante pour découvrir un monde, celui-là n’a point de rêve d’avenir, point d’espoir d’arriver jamais à l’immortalité, ni même à la réputation.

Hors des murs de son étroite cellule, il ne connaît rien ; élucider une langue morte est toute son ambition ; sa vie n’est qu’une longue journée de classes, de lexique et de grammaire, un château de glace qu’il faut tenir au frais, si on ne veut pas le voir fondre au premier rayon de soleil, curiosité inutile, ingénieuse stérilité ; qui va, pour peu que