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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/45

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vous n’y preniez garde, vous couler entre les doigts, sans qu’il reste trace de l’espace qu’il occupait, ou de la peine qu’il a coûtée.

Lorsque j’entrai à l’université mon pauvre camarade avait remporté tous les succès et atteint à tous les honneurs auxquels il pouvait aspirer ; il avait été le Pitt des écoles, le prix d’honneur des sciences, enfin il était devenu fellow[1] de son collège. Il m’arriva souvent d’être placé à côté de lui à dîner. J’admirais son abstinence, j’aimais sa modestie, en dépit de la gaucherie de ses manières et de la coupe surannée de ses vêtements.

Peu à peu, je parvins à m’insinuer dans son intimité, et comme j’avais assez de goût pour l’étude, je saisissais souvent l’occasion de causer avec lui d’Horace et de le consulter sur Lucien.

Bien des fois, vers le soir, nous étions assis l’un près de l’autre, faisant assaut de mémoire et récitant alternativement des tirades de vers. Alors, si par hasard mon esprit ou ma mémoire me donnaient l’avantage sur lui et que je parvinsse à l’embarrasser, sa douceur l’abandonnait, il devenait bourru, et, me lançant à la tête quelque passage d’Aristophane, il me demandait d’une voix haute, et en fronçant le sourcil, qu’est-ce que j’avais à répondre à cela. Mais s’il arrivait, et c’était le cas le plus ordinaire, qu’il m’eût réduit au silence et forcé de m’avouer vaincu, il se frottait les mains en riant d’un rire étrange, puis il m’offrait dans la bonté de son cœur de me lire une ode grecque de sa composition en me régalant d’une tasse de thé. C’était par cette bonté et cette naïveté d’honnête homme qu’il s’était fait aimer de moi, aussi n’eus-je pas de répit, après ma sortie du collège, que je ne lui eusse fait obtenir le bénéfice dont il jouissait à présent. Depuis cette époque, il s’était marié à la fille d’un pasteur de son voisinage, évènement dont il m’avait fait part comme de juste ; mais quoique cette phase importante de la vie d’un savant ne remontât qu’à quelques mois, je l’avais reléguée, après

  1. Membre titulaire de l’état-major des collèges des universités anglaises.