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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/58

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— Grand Dieu ! M. Clutterbuck ! » tels furent les seuls mots que j’entendis ensuite. Ce fut avec des larmes dans les yeux et la poitrine oppressée par les sentiments qui m’accablaient, en songeant à la situation matrimoniale de mon pauvre ami, que je descendis au salon. Je n’y trouvai que le pâle neveu : il était péniblement courbé sur un livre que je lui pris des mains ; c’était un « Bentley, sur Phalaris ; » j’eus peine à résister à l’envie de lancer ce livre au feu. « Encore une victime, me dis-je. Oh ! maudite soit l’éducation anglaise ! »

Peu à peu arrivèrent la mère et la sœur, puis Clutterbuck et enfin, parée de bijoux de chrysocale, la dame de la maison. Quoique j’eusse été élevé et nourri dans l’art de dissimuler mes impressions, j’avoue que je n’avais jamais fait l’essai d’une dissimulation aussi difficile que celle à laquelle je dus me soumettre. Pourtant, l’espoir d’améliorer la position de mon ami me soutint. Le meilleur moyen, me dis-je, d’amener sa femme à avoir pour lui plus de respect, ce doit être de lui montrer que les autres le respectent ; en conséquence, je m’assis auprès d’elle et après m’être concilié sa bienveillance par quelques compliments adroits et qui paraissaient empreints de la plus parfaite sincérité, je parlai avec la plus grande vénération du talent et du savoir de Clutterbuck ; je m’étendis sur la haute réputation dont il jouissait, sur l’estime générale qui lui était acquise, sur la bonté de son cœur, la sincérité de sa modestie, l’intégrité de son honneur, en un mot sur tout ce qui me parut de nature à faire impression sur elle ; avant tout j’insistai sur l’éloge flatteur que faisaient de lui lord un tel, le comte de… et je frappai le dernier coup en ajoutant que j’étais sûr qu’il deviendrait évêque. Mon éloquence porta ses fruits ; pendant tout le dîner mistress Clutterbuck traita son mari avec une considération remarquable ; il semblait que mes paroles eussent fait pénétrer la lumière dans son esprit, transformé sa manière de voir à l’endroit du caractère de son seigneur et maître. En effet, qui ne sait que nous avons la vue courte et trouble quand il s’agit d’apprécier la nature de nos proches, et que nous ne voyons leurs qualités ou leurs défauts qu’à