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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/59

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travers la lorgnette de l’opinion des étrangers. On doit bien se figurer que le dîner ne manqua pas d’accidents comiques, que le serviteur et les mets, la famille et l’hôte eussent pu fournir un ample sujet d’observations à un peintre moraliste comme Hogarth ou à un caricaturiste comme Bunbury. Mais j’étais trop sérieusement occupé à poursuivre mon objet et à observer les progrès que je pouvais faire pour me donner le temps même de sourire. Ah ! si jamais vous destinez votre fils à la diplomatie, montrez-lui quel usage utile il en peut faire s’il la veut employer à un but louable.

Lorsque les femmes se furent retirées, nous rapprochâmes nos chaises ; alors mettant ma montre sur la table et regardant le jour qui déclinait, je lui dis : « Profitons du peu de temps que nous avons à passer ensemble ; je n’ai plus qu’une demi-heure à rester ici.

— Et comment, mon ami, me dit Clutterbuck, apprendre la méthode d’employer bien son temps ? C’est là, soit pour de longues périodes, soit pour les plus courts moments, la grande énigme de la vie. Quel est celui qui s’est jamais écrié, en parlant de cette science la plus difficile de toutes : Eurêka (pardonnez mon pédantisme, ce mot grec m’est échappé).

— Allons, lui dis-je, ce n’est pas à vous, savant favorisé, chargé d’honneurs académiques, dont le temps n’est jamais perdu dans l’oisiveté, à faire cette question.

— Votre amitié émousse votre jugement et le dispose trop en ma faveur, me répondit le modeste Clutterbuck ; sans doute mon lot est de cultiver les champs de vérité qui nous ont été transmis par les sages de l’antiquité. J’ai lieu de m’applaudir, de n’avoir jamais été distrait de mes études ni frappé dans mon indépendance, ces deux biens les plus précieux pour un esprit calme et méditatif. Mais il y a des moments où je doute presque de la sagesse de ma manière de vivre ; et lorsque, d’une main tremblante et fiévreuse, je dépose les livres qui m’ont tenu éveillé toute la nuit, que je gagne ma couche sans sommeil, où je cherche en vain le repos pour ce pauvre corps usé et fatigué, alors je voudrais pouvoir acheter la robuste santé