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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/82

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Je jetai cette lettre loin de moi. Que Dieu me pardonne si l’accès de misanthropie auquel j’étais en proie me rendit moins respectueux et moins reconnaissant que je ne l’étais d’habitude à ma mère pour sa sollicitude.

Je pris au hasard un des nombreux livres dont ma table était couverte ; c’était l’ouvrage d’un moraliste français à l’usage des gens du monde ; cette lecture fit prendre un nouveau cours à mes pensées. Mon esprit revint à ses premiers projets d’ambition. Qui ne sait que les malheurs privés poussent les hommes à se jeter dans le tourbillon des affaires publiques ? La politique est comme le fleuve Léthé, nous nous y plongeons pour oublier nos chagrins.

J’attirai à moi mon buvard et j’écrivis à lord Dawton. Trois heures après que j’eus envoyé ma lettre, lui-même vint me rendre visite. Je lui remis la lettre de lord Chester, mais il avait déjà reçu de ce noble personnage la notification du succès de ma mission. Il se confondit en éloges et en remercîments.

« Savez-vous, me dit cet homme d’État, que vous avez fait la conquête de lord Guloseton ? Il parle de vous en public dans les termes les plus avantageux. Il serait à désirer que nous eussions sa voix et celle de ses amis. Il faut nous renforcer, mon cher Pelham ; tout dépend de la crise actuelle.

— Êtes-vous sûr du cabinet ? lui demandai-je.

— Oui, la chose n’est pas encore rendue publique, mais nous savons, nous, de source certaine, quels sont ceux qui doivent quitter le ministère, et quels seront leurs successeurs ; moi je dois avoir le ministère de…

— Je félicite Votre Seigneurie de tout mon cœur. Quel est le poste que vous me destinez ? »

Lord Dawton changea de visage. « Ah ! mon Dieu ! Pelham, il n’y a encore rien de décidé quant aux positions secondaires, mais on ne vous oubliera pas, non, non, soyez-en bien sûr, mon cher Pelham. »

Je jetai au noble lord un regard qui, je m’en flatte, n’appartient qu’à moi. Est-ce que par hasard, me dis-je, cet avorton de ministre prétend se jouer de moi comme