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Page:Burnouf - La Science des religions.djvu/201

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dialectes indiens. Toutes ces versions, échelonnées sur une période de plus de dix siècles, proviennent d’un texte grec attribué à Jean Damascène, mort en 760. Mais ce texte est lui-même visiblement traduit ou imité d’un original syriaque, car tous les noms propres y sont en cette dernière langue. De plus, comme toutes les religions du temps y sont énumérées et que celle de Mahomet n’y figure pas, on est en droit de penser que le livre syriaque est antérieur au mahométisme. Le personnage principal, Josaphat, est un roi de l’Inde, converti au christianisme et instruit par un religieux nommé Barlaam. Le texte dit que cette histoire a été apportée de l’Inde, que l’Inde est grande et peuplée, et qu’elle est séparée de l’Égypte par des mers sillonnées de nombreux vaisseaux. La version latine de ce livre fit qu’au XIe siècle les deux héros furent canonisés et qu’on les honore le 27 novembre, d’après le martyrologe romain[1]. Or nous possédons l’original sanscrit d’où sont venues toutes les versions : c’est le Lalita-vistâra, qui existait dèjà au IIIe siècle avant J.-C. ; tous les noms sanscrits ont été remplacés par des noms syriaques, et le héros du récit n’est autre que le Buddha Çâkya-muni[2]. J’ai cité ce fait pour montrer comment, pendant les premiers siècles de notre ère les choses indiennes ont pénétré en Occident sous un vêtement étranger. Tout le monde sait, du reste, que les Grecs et les Latins n’agissaient pas autrement : ils ôtaient les noms, et ils gardaient la chose. Les chrétiens n’ont même pas toujours usé de cette fraude pieuse : ainsi le

  1. L’église grecque célèbre aussi cette fête le 27 novembre. Elle est donc antérieure au Schisme.
  2. Voyez : Βαρλααμ ϰαὶ Ιoασαϕ, édit. de Boissonnade. — Barlaam et Josaphat, poème français de Gui de Cambrai (XIIIe siècle), avec extrait de plusieurs autres versions romanes, éd. Zotenberg et P. Mayer. Stuttgart, aux frais du cercle littéraire, 1864 ; in-8o, 419 pages.