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Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/18

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ouvrier, nous devons, à l’heure actuelle, présenter une justification révolutionnaire du patriotisme. Arturo Labriola, dans son livre sur Marx, écrit ces lignes, qui me paraissent d’une justesse admirable : « Là où il y a différenciation naissent la haine et la lutte. Cela se voit dans le cas d’un peuple qui opprime un autre peuple, et cela explique l’invincible répugnance qu’inspire l’antipatriotisme, lequel fait abstraction du besoin d’indépendance que tout peuple éprouva en face d’un autre peuple, besoin qui est au fond de l’âme humaine et qui explique les manifestations les plus incroyables du sacrifice. Il est complètement inutile de raisonner un tel sentiment. Du reste, si l’antipatriotisme veut raisonner et rester conséquent avec lui-même, il conduit tout droit à la négation de la lutte de classe, tout en voulant l’affirmer plus énergiquement. Le besoin de l’indépendance de classe repose lui-même sur un fait sentimental. Qui trouve illogique le sentiment de l’indépendance nationale doit trouver tout aussi illogique le sentiment de l’indépendance de classe. Si patrie est là où l’on est bien, la classe est celle qui nous fait vivre le mieux »[1]. On ne saurait mieux dire. Lorsqu’un Griffuelhes vient nous déclarer que « la patrie, pour l’ouvrier, est là où il touche le meilleur salaire, » j’avoue que ce raisonnement, dans sa bouche, me peine ; car, tout d’abord, c’est là un raisonnement d’essence ultra-bourgeoise, symétrique à celui-ci : « La patrie est là où je touche le plus fort dividende ; » et ensuite, tenu par un de nos meilleurs militants syndicalistes, il me semble particulièrement affligeant. Arturo Labriola a raison si la patrie est là où l’on est bien, ubi bene ibi patria, la classe est celle qui nous fait vivre le

  1. A. Labriola, Karl Marx, l’Économiste, le Socialiste (p. 221). Rivière, éditeur, Paris, 1900