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Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/19

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mieux, et alors, adieu toute solidarité de classe, comme adieu toute solidarité nationale ! L’ouvrier devient une manière de « bourgeois cosmopolite » qui vend son travail au plus offrant, comme l’autre ses capitaux ; le monde est ramené à cette conception atomistique et purement mécanique, où l’homme n’est plus qu’un simple porteur de marchandises, que cette marchandise soit de la force de travail ou de l’or, peu importe ; c’est le triomphe du matérialisme bourgeois, c’est le règne assuré du seul Mammon ! « Les ouvriers n’ont pas de patrie, » dit le Manifeste communiste : au contraire, dirai-je, les ouvriers ont une patrie plus encore que les bourgeois, qu’on pourrait considérer, eux, comme étant les vrais « sans-patrie » ; car le riche est le vrai « déraciné » qui, partout dans le monde, où qu’il se trouve, se trouve bien, précisément grâce à sa richesse ; tandis que l’homme du peuple, le pauvre, dépaysé, déraciné, transplanté, livré à la double domination capitaliste et étrangère, est doublement esclave et malheureux. En fait, dans l’histoire, ce sont les classes riches qui, le plus souvent, pour un ignoble intérêt de classe, ont vendu la patrie à prix d’or, semper auro vendiderunt patriam, alors que les classes populaires la défendaient avec l’acharnement le plus magnifique. L’homme du peuple est immergé dans sa patrie bien plus profondément que l’homme des classes riches, dont l’existence abstraite et transcendantale fait presque naturellement un habitant de « Cosmopolis ». La langue, les coutumes locales et professionnelles, les traditions nationales, tout cela constitue pour l’homme du peuple non déraciné par une culture encyclopédique et une existence d’oisif promenant son spleen à travers le monde, une atmosphère spirituelle plus nécessaire encore à sa vie morale que