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Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/52

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Car il y a, dans cette bourgeoisie capitaliste, que les socialistes présentent naïvement parfois et plus souvent habilement, comme un bloc, des classes très distinctes. Elles ont un caractère commun, celui qui tient à la possession de l’or ; elles sont parfois confondues dans la vie publique, car si elles ont des représentants différents au Parlement, elles soutiennent ensemble les mêmes ministères, lorsqu’il s’agit de défense sociale. Mais elles sont profondément séparées dans l’économie. Et l’on distingue trois grandes classes d’importance inégale, qui emploient des méthodes très différentes dans l’art de gagner de l’argent et dans l’art de le dépenser. Je les nomme : la bourgeoisie juive ; la bourgeoisie cléricale[1] ; la bourgeoisie judaïsante, et je prie le lecteur de les voir ici avec leurs caractères les plus généraux.

La bourgeoisie juive est très puissante dans l’Europe moderne. Sa richesse est énorme. Sa fortune privée, et les moyens par lesquels elle l’a acquise, sont liés à sa fortune politique. Le régime politique et social qui est nommé démocratique lui a ouvert toutes les avenues de la richesse française. Représentant les appétits d’un peuple ; constituée par des hommes unis par les liens du sang, par une histoire et des traditions religieuses communes ; formant, un tout, un État dans une société politiquement et socialement dissoute par la révolution de 1789 ; représentant en outre, en politique, les idées libérales qui obtinrent l’empire des esprits au XIXe siècle ; possédant enfin une âpreté particulière au gain, elle a ac-

  1. L’épithète « cléricale », qualifiant ici une bourgeoisie de formation catholique, doit être employée pour désigner un groupe de Français qui, au cours du XIXe siècle, ont été entraînés, par la vie démocratique et parlementaire, à se forger une conception extrêmement dangereuse de leur rôle politique, social et religieux. Ils ont en quelque sorte cessé d’être de simples laïcs catholiques, et ont usurpé une partie des fonctions des clercs. C’est ainsi qu’ils sont devenus « cléricaux ». Républicains, bonapartistes ou royalistes, dans tous les cas constitutionnels, et par conséquent se regardant comme seuls possesseurs ou co-possesseurs de l’État, ils ont regardé l’église comme étant à la fois leur protectrice et leur cliente. Ils considéraient qu’ils étaient ou devaient être les vrais gouvernants du pays, et que l’Église était là pour les aider à maintenir un ordre qui était en somme avant tout l’ordre bourgeois. En échange de ce service, ils pratiquaient une politique dite catholique. Mais cette politique catholique sortant des assemblées, les bourgeois se trouvaient amenés à dépasser leur rôle de fidèles pour se conduire comme des gens d’Église. On les a vus devenir théologiens (ce sont eux qui, avant la Séparation, ont fourni les cardinaux verts, laïcs qui avaient la prétention de diriger l’Église de France ; au moment des débats parlementaires sur la Séparation, on les a vus accepter la discussion., ce qui équivalait en somme à prendre la place du Saint-Siège