Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/110

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Et ces grands Inspirés, dont les œuvres reflètent la jeune virilité des anciens âges, procurent à ceux qui vivent dans leur commerce intime un genre de joies peu communes ; ils leur permettent d’entendre les premiers cris sublimes de l’âme humaine et leur font parlager le sentiment le plus large de la nature extérieure ; ils leur offrent le spectacle des plus hardies conceptions, réalisées avec l’incomparable éclat des images et la saveur, toute fraîche encore, d’une langue que la dégénérescence des temps n’a pas abâtardie. C’est là le fonds éternellement précieux de notre trésor intellectuel. Richesses incomparables ! Leconte de Lisle, trop pauvre pour en connaître jamais d’autres, sut pleinement jouir de celles-là ; elles lui furent d’un grand soulagement dans sa détresse. Quoi d’étonnant si lui, le déshérité, s’y rattacha de toute sa misère fièrement supportée, si son esprit affirmatif et net conclut qu’en dehors d’elles l’Art n’avait produit que néant et pauvreté.

Méprisantes pour tout ce qui n’était pas cette floraison saine et primitive, ses préfaces le désignèrent à la vindicte des auteurs contemporains. Qu’adviendrait-il d’eux si l’on ne s’en fiait à cette théorie qui rayait du fonds littéraire de l’humanité vingt-trois siècles inutiles ? Arrivant les derniers dans la hiérarchie des temps, ils se croyaient les génies les plus complets, tant il leur semblait que leur pensée devait contenir en elle le résumé de toutes les pensées qui l’ont devancée. Or, au lieu de les déclarer les premiers parce qu’ils étaient les derniers, on les laissait à leur rang de queue, vers le bout infime, et, comparés aux grands modèles dont les spectres semblaient sortir de la tombe pour revendiquer les droits du génie disparu de la terre, à quoi seraient-ils réduits dans ce bouleversement des axes et ce déplacement des pôles ? De chétifs météores vaguant à travers la nuit du vide, voilà ce qu’ils étaient si l’on en croyait la théorie de Leconte de Lisle. Et, par exemple, que devenaient