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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/149

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que des nièces, avaient été les élèves de son père. Bénassit, le premier soir, lui donna rendez-vous à la brasserie des Martyrs, où la rencontre se fit avec Mürger, Armand Barthet, Bourgogne, rédacteur en chef du journal le Nord, Camille Debans, Thommasson. Eh bien, dès ce premier soir, Marras reçut le baptême des initiés par trois heures d’une discussion littéraire, à laquelle il prit part avec la plus vive ardeur. Mürger en conçut beaucoup d’estime pour lui, car, en le voyant si libre pour la riposte il imaginait se trouver en face d’un adversaire familier des centres parisiens. Il changea bientôt d’opinion ; l’indépendance du jeune provincial, qu’il apprit à connaître, lui parut trop éloignée de ce respect spécial que les aînés des Lettres se croient dû. Mürger mourut deux ans plus tard sans avoir atteint la quarantaine ; il n’était donc pas vieux ; mais il avait rang de maître et, selon lui, Marras ne comprenait pas assez que, dans une société bien policée, tout est susceptible de hiérarchie, même la pensée.

C’est que Marras, fanatique défenseur de la pensée libre, illimitément libre, pouvait moins que tout autre se plier « à la honte déprimante des soumissions intellectuelles ». Son souci le plus constant était de se soustraire aux prétendues obligations morales d’une société qui lui semblait en effet policée, « mais policée tout à l’envers ». J’ai connu le temps où, pour nulle considération au monde, il ne serait entré dans une église. On était au plus fort de la période des luttes soutenues par la République ; les socialistes craignaient de fournir par leur présence dans une des « citadelles de l’erreur » un appoint, si minime qu’il fût, à « l’ennemi clérical ». D’après ce principe qui défendait de grossir par une apparence d’adhésion personnelle le nombre des fidèles, Delescluze, un an ou deux avant la Commune, s’était abstenu d’accompagner le cercueil de sa mère jusqu’à l’intérieur de l’église. Il était resté, dans l’attitude d’une respectueuse attente, à la porte ;