Aller au contenu

Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et cependant il ne s’en prend pas à la Nature que d’autres, à sa place, voudraient rendre responsable. Il la sait indifférente et ne la fatigue pas de ses récriminations. Jamais il n’exhale sa désespérance en plaintes immédiates, à l’encontre de Leconte de Lisle qui parfois, sur un ton pitoyable, faisait de soucieuses confidences. François Coppée, traité par le destin en enfant gâté, accusait pourtant, au moindre mal de dents, cette même Nature d’être une marâtre. Il n’a pu supporter la vraie douleur quand elle l’a surpris, cruellement précoce, et les affres de son mal l’ont rejeté vers le recours ordinaire de tous les affaiblis, vers la religion. Beaucoup d’autres appartenant au même groupe intellectuel, ne se sont montrés forts qu’en écrit, tandis que Dierx a su mettre d’accord sa dignité d’homme avec son dédain philosophique.

Rien n’est plus rare que ce mépris contenu, dont la désespérance muette s’élève au-dessus des mesquines considérations d’intérêt personnel ou de vanités sociales, et combien il a de grandeur en comparaison par exemple du pessimisme de Chateaubriand ou de l’optimisme de Victor Hugo ! Chateaubriand, le barde morose du romantisme, affectait de rabaisser le monde pour se rehausser d’autant. Victor Hugo, le nourrisson-phénomène, sur les pas duquel le sort avait pris soin d’étendre des chemins sablés d’or, bordés de roses fleuries, s’était fait une doctrine de son enchantement ; il exaltait le monde pour s’en dresser un piédestal et pour se placer au sommet. Et ce n’est pas offert à tous les esprits de pouvoir planer ainsi dans la plénitude du contentement universel ; il faut une extraordinaire faculté de grossissement, une prodigieuse adresse à jouer de l’onction bénissante en variant les airs du banal et du lieu commun. Seul un puissant génie peut se permettre de dire aux écrivains de son temps : « Vous êtes tous grands à l’ombre de mon aile, » alors qu’absorbé par sa propre contemplation il les juge petits entre les infiniment