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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/249

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ne vaut pas la peine d’être écrit en vers, puisque sa réduction au moule poétique n’ajoute rien à la pensée et l’exprime telle que l’exprimerait la simple prose. C’est un membre de phrase qui dénote le laisser-aller d’un négligent auteur et qui, pour les Parnassiens, a l’allure antipoétique par excellence ; car l’idée qu’il fait naître en nous est essentiellement particulière et se réduit à la vision d’un certain lit et d’un certain homme étendu sur ce lit, c’est-à-dire à la plus ordinaire et la plus plate des visions. Et, partant de là, dès l’instant que l’expression directe circonscrit la sensation dans les limites où se meut la prose, on peut conclure qu’elle doit s’employer avec réserve, c’est le cas de Dierx, et même qu’elle doit être poscrite, c’est le cas de Mallarmé. Dire qu’une lampe éclaire, à quoi bon le dire en vers, puisque, traduite en sa forme immédiate, l’idée restera banale et n’éveillera jamais qu’une sensation prosaïque. Et, pour peu que j’étende ce principe et que je l’exagère, j’en arrive aisément à m’imaginer que l’art suprême serait d’évoquer la lumière en exprimant tout ce qui n’est pas elle. C’est en peignant l’effroi, riiorreur de l’ombre, que je ferai plus puissamment sentir le miracle de la bienfaisante lumière. Et si, m’attachant à ce procédé du non-dire pour le dire, je passe des jours et des jours à rêver sur son application ; si, prenant l’un après l’autre les mots d’un vers, je leur fais subir l’épreuve de mon système en voulant me convaincre de cette captieuse vérité qu’ils ne doivent jamais peindre directement l’image et rendre la vision réelle sous peine de perdre leur atmosphère poétique ; si je me force à croire que cette atmosphère de poésie, planant en dehors des choses, résulte uniquement du vague et de l’imprécis, fatalement, après les longues rêveries auxquelles je m’abandonne et les exercices que je multiplie, la notion vitale du verbe m’échappe et le sens de l’idée se transfigure. Je ne sais quel philosophe indou disait des choses,