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Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/269

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dant les reproches de Delpit, portant sur l’abus des épithètes, sur le manque de sens constructif et sur l’absence d’imagination, étaient bien anodins auprès de cette autre accusation qui limitait les facultés créatrices d’Alphonse Daudet au seul pouvoir de faire agir, chez des personnages de drame ou de roman, le pur instinct, la fonction animale d’aimer et de souffrir, soumise à la matérialité du sentiment. Et je ne sais lequel des Parnassiens proposa d’aller dénoncer à Daudet l’opinion commune à tous afin qu’il put se battre avec chacun d’eux successivement et que la chance des armes décidât, comme au temps des jugements de Dieu, si vraiment il avait ou n’avait pas la totalité des dons et l’universalité du talent.

Un an après ce duel parut Sapho, qui met en action la déchéance de l’homme dompté, subjugué par une chair de fille ; la bassesse de la passion sans idéal aboutissant au triomphe du corps de la bête, à la victoire des habituelles turpitudes ; la docilité du mâle revenant, comme un chien vicié par le servage, à la chaîne ignominieuse ; et toute cette peinture de dépression physique, de néant moral n’était pas faite pour désarmer le Parnasse. Leconte de Lisle manifestait pour ce genre de littérature la plus vive aversion, qui se changeait en violent dégoût lorsque le fond de réalisme prenait sous la plume d’un plus puissant que Daudet, d’un véritable maître, une grande intensité d’expression. Il ne pouvait souffrir qu’on admirât Zola. Zola ne s’était pas privé de bafouer les Parnassiens, qu’il avait représentés assis en cercle, comme des bonzes, dans l’altitude d’admiration mutuelle et d’extase réciproque, les pouces en croix sur leurs nombrils. Mais Leconte de Lisle aurait aisément oublié cette offense un peu balourde. Ce qu’il ne pouvait pardonner au grand metteur en scène de la vie réaliste, c’était la souillure littéraire, certains tableaux de honte, plaqués comme des taches de sanie sur une robuste structure, qu’ils salissent et qu’ils déshonorent.